dimanche 31 août 2025

22ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 31/08/2025

Luc 14, 7-14

Un jour de sabbat, Jésus était entré dans la maison d’un chef des pharisiens pour y prendre son repas. L’Evangile de ce dimanche nous rapporte donc des propos de table. C’est en effet au cours d’un repas de fête chez un notable que Jésus enseigne. Toutes les occasions sont bonnes pour délivrer un enseignement : le Seigneur le fait dans les synagogues, sur les chemins de Galilée comme au cours des repas. Lui qui est l’Evangile de Dieu, il évangélise en tout temps et en tout lieu. Le premier enseignement se situe dans la tradition de sagesse des Ecritures et part du sens de l’observation de Jésus : Jésus dit une parabole aux invités lorsqu’il remarqua comment ils choisissaient les premières places… Comme souvent la « parabole » s’inspire de l’Ecriture. Dans ce cas nous pouvons penser à une double référence dans les livres de sagesse. Tout d’abord Proverbes 25, 6.7 : Ne cherche pas à briller devant le roi, ne te mets pas à la place des grands ; mieux vaut que l’on te dise : « Monte ici », plutôt que d’être rabaissé devant un prince. Et Siracide 13, 10 : Ne t’impose pas, de peur d’être repoussé, ne te tiens pas trop loin, de peur d’être oublié. Jésus va cependant au-delà de la simple sagesse humaine qui cherche à éviter le désagrément de l’humiliation par manque de modestie (à ce moment, tu iras, plein de honte, prendre la dernière place). Il en profite pour exalter la vertu d’humilité : quiconque s’élève sera abaissé ; et qui s’abaisse sera élevé. Non seulement il ne faut pas chercher la meilleure ou la première place, et cela ne s’applique pas qu’aux repas, mais il faut volontairement s’abaisser. Le mouvement du disciple est celui de l’abaissement à l’image de son Maître : Devenu semblable aux hommes, reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé. C’est Dieu et lui seul qui nous élèvera au sein même de notre abaissement. Nous n’attendons pas notre gloire des hommes mais de Dieu seul. Au plus nous sommes humbles, au plus nous sommes glorifiés de la vraie gloire celle qui vient de Dieu. C’est la raison pour laquelle la créature la plus humble, Marie, est celle qui a été le plus glorifiée par Dieu. En Jean 5, 44 nous trouvons une interrogation rhétorique qui éclaire spirituellement la parabole sur les premières places à table : Comment pourriez-vous croire, vous qui recevez votre gloire les uns des autres, et qui ne cherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique ?

Le deuxième enseignement du Seigneur met, lui aussi, à profit la situation qui est celle du repas chez le chef des pharisiens : Quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont rien à te donner en retour : cela te sera rendu à la résurrection des justes. Après avoir exalté la vertu d’humilité, Jésus fait briller à nos yeux la beauté de la gratuité. Encore une fois cela dépasse le strict cadre des invitations à un repas. Cela concerne une manière précise de voir les choses dans notre vie de chaque jour. Nous savons parfaitement qu’il existe une grande différence entre une bonne action faite par intérêt et une bonne action accomplie dans le désintéressement, donc dans la gratuité. Si nous faisons du bien à notre prochain dans le seul but d’en retirer un quelconque avantage, un retour sur investissement pour utiliser le vocabulaire commercial, nous perdons tout le mérite du bien que nous réalisons. Il est donc essentiel que notre intention soit pure. De la même manière que nous recherchons la gloire qui vient de Dieu et pas celle qui vient des hommes, nous espérons la récompense qui viendra de Dieu et non pas celle des hommes. Dans les deux cas nous agissons éclairés par le sens surnaturel de la foi qui nous fait estimer les choses à leur juste valeur, comme Dieu lui-même les estime. Dans ce contexte de foi les places d’honneur au banquet et les invités de marque, les VIP comme on dirait aujourd’hui, ne sont que vanité. Et la bonne action faite par calcul et intérêt illusion. Le fait essentiel pour un chrétien d’agir de manière désintéressée, donc pure, n’enlève rien à la vertu de gratitude que nous devons pratiquer non seulement envers Dieu mais aussi envers le prochain. Si Dieu nous donne la grâce de faire le bien sans arrière-pensées, cela ne nous dispense pas pour autant de pratiquer la reconnaissance et la gratitude envers nos bienfaiteurs. Si celui à qui je fais du bien est un ingrat, c’est son affaire, et je ne dois pas pour cette raison cesser d’être bon à son égard. Par contre il est toujours de ma responsabilité personnelle de ne pas être ingrat envers ceux qui me font du bien. Il s’agit donc de tenir à la fois l’action désintéressée qui n’attend rien en retour et la valeur de la gratitude qui encourage au bien.

dimanche 24 août 2025

21ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 24/08/2025

Luc 13, 22-30

L’Evangile de ce dimanche part de la question d’un anonyme : Quelqu’un lui demanda : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » Ce « quelqu’un » pourrait être chacun d’entre nous. Probablement un anonyme de notre temps formulerait sa question sur le salut d’une manière quelque peu différente : Irons-nous tous au Paradis ? L’anonyme du temps de Jésus part d’un présupposé pessimiste (il y aura peu d’élus) alors que celui de notre temps serait davantage optimiste (tous seront sauvés). Nous retrouvons cette question sur le salut dans le parallèle de Matthieu, au chapitre 19, mais dans un contexte différent :

« Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux. » Entendant ces paroles, les disciples furent profondément déconcertés, et ils disaient : « Qui donc peut être sauvé ? »

Un chrétien doit-il se poser cette question ? Si le salut de l’homme est avant toute chose l’œuvre et le don de Dieu en Jésus-Christ, avons-nous besoin de savoir si peu ou beaucoup seront sauvés ? Est-ce que cela nous regarde ? Cette question cacherait-elle de notre part un manque de confiance en Dieu et en l’action de l’Esprit Saint ? Nous constatons que Jésus ne répond pas à la question qui lui est posée en donnant des chiffres ou des pourcentages. Il renvoie l’anonyme à son propre salut. Ne cherchez pas à connaître le nombre des élus mais efforcez-vous plutôt d’en faire partie ! La réponse de Jésus peut sembler contradictoire. D’un côté il insiste sur la difficulté du salut, la porte qui y mène est étroite comme le trou d’aiguille du chameau en Matthieu 19… Je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas. Donc nous n’irons pas tous au Paradis… Mais en même temps il nous fait entrevoir un salut universel : Alors on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. La réponse à la question du salut implique un renversement des perspectives humaines : Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. Cela signifie qu’au moment du jugement dernier nous aurons de grandes surprises ! Ceux que nous considérions pendant notre vie terrestre comme de bons chrétiens ne seront peut-être pas admis dans le Royaume alors qu’inversement des personnes qui nous semblaient très éloignées de Dieu y seront admises. Laissons donc le jugement à Dieu et à lui seul. La petite parabole nous donne le critère du jugement de Dieu qui séparera les élus des réprouvés. Elle nous rappelle une autre parabole, celle des dix vierges au chapitre 25 de l’Evangile selon saint Matthieu. Quel est donc le critère du jugement divin ? Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice. Dans d’autres traductions nous trouvons au lieu de l’injustice le mal, l’iniquité, le crime, le mensonge… Voilà ce que nous devons éviter à tout prix pour entrer dans le Royaume. Aux artisans d’injustice s’opposent dans les Béatitudes ceux qui ont faim et soif de la justice, ceux qui sont persécutés pour la justice. La porte étroite est donc celle de la justice, de la sainteté telle que nous la trouvons décrite à travers les Béatitudes et la scène du jugement dernier en Matthieu 25. Si la page évangélique de ce dimanche trouve des parallèles en Matthieu 19 et 25, n’oublions pas un passage du chapitre 7 de Matthieu qui en est l’équivalent : Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. Ce jour-là, beaucoup me diront : “Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons expulsé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ?” Alors je leur déclarerai : “Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui commettez le mal !” Nous constatons que l’enseignement du Seigneur insiste fortement sur les actes qui sont les nôtres et qui font de nous soit des artisans d’injustice, soit des artisans de justice. Il ne s’agit donc pas tant de nous poser des questions sur qui sera sauvé et sur le nombre des élus que de tout faire pour accomplir dans nos vies la volonté de Dieu à la suite de Jésus. Vaincre le mal qui est en nous et dans le monde par la grâce de Jésus, c’est vivre déjà en sauvés. Et surtout vivons dans la confiance qui nous vient de ce que saint Paul affirme dans sa première lettre à Timothée : Dieu notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.

dimanche 17 août 2025

20ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 17/08/2025

Luc 12, 49-53

49 Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé !

50 Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli !

Dans les deux premiers versets de l’Evangile de ce dimanche Jésus partage à ses disciples un désir et une nécessité qui habitent son cœur. Son désir profond est de voir allumé le feu qu’il est venu apporter sur la terre. Il est impatient de le voir allumé. Dans les Evangiles l’image du feu est généralement négative : il s’agit du feu de la Géhenne. Certaines interprétations de ce verset ont voulu y voir un feu matériel, une espèce de catastrophe cosmique ou encore la bombe atomique qui détruirait la terre par le feu comme autrefois l’eau du déluge avait submergé la terre. Rien n’est plus inexact que cette interprétation. Il suffit pour s’en convaincre de se référer à deux autres passages du Nouveau Testament. Le premier au chapitre 9 du même Evangile : Souvenez-vous de cet épisode au cours duquel Jacques et Jean ont l’intention de faire tomber le feu du ciel sur un village de Samaritains qui ne veut pas accueillir Jésus (Luc 9, 54) … Le Maître refuse catégoriquement cette vengeance punitive consistant à réduire en cendres ce village par un feu matériel et destructeur. Au chapitre 13 de l’Apocalypse nous avons la vision des deux bêtes, créatures sataniques et remplies de blasphèmes. Voici ce qui est dit de la deuxième bête :

Puis, j’ai vu monter de la terre une autre Bête ; elle avait deux cornes comme un agneau, et elle parlait comme un dragon. Elle exerce tout le pouvoir de la première Bête en sa présence, amenant la terre et tous ceux qui l’habitent à se prosterner devant la première Bête, dont la plaie mortelle a été guérie. Elle produit de grands signes, jusqu’à faire descendre le feu du ciel sur la terre aux yeux des hommes : elle égare les habitants de la terre par les signes qu’il lui a été donné de produire en présence de la Bête…

Le feu dont parle Jésus est tout le contraire d’un feu matériel destructeur ou d’un feu matériel de type prodige visant à impressionner les humains. C’est en mettant ce feu de Jésus en lien avec le feu de la Pentecôte que nous comprenons qu’il s’agit bien d’une image, comparable à celle des langues de feu quand l’Esprit Saint descendit sur la première Eglise : feu de l’amour du cœur du Christ, feu du Saint-Esprit. Le désir de Jésus signifie ceci : l’amour de Dieu nous a été donné, encore faut-il qu’il soit accueilli sur notre terre, allumé dans nos cœurs. Le désir de Jésus signifie qu’il attend avec impatience de notre part une réponse d’amour à son amour. Notre lenteur à nous convertir, notre tiédeur dans l’amour de Dieu et du prochain, notre ingratitude sont autant d’obstacles que nous opposons à ce que le feu de l’amour divin soit déjà allumé en nous. Ce désir de Jésus n’a qu’un but : réveiller notre ferveur et notre zèle. Si son cœur est brulant d’amour et que le nôtre s’est refroidi, alors son feu risque de ne pas porter de fruits en nous …

Après ce désir Jésus exprime une nécessité qui s’impose à lui : Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! Cela nous rappelle le verset du même Evangile que le pape François a choisi pour sa lettre apostolique consacrée à la formation liturgique du peuple de Dieu : J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! Car je vous le déclare : jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle soit pleinement accomplie dans le royaume de Dieu. Le Seigneur Jésus sait qu’il doit monter à Jérusalem pour y souffrir sa Passion et la mort de la Croix. Au commencement de sa mission il a demandé à Jean le baptême de l’eau. Au terme de sa mission il sera plongé dans le baptême de sang de sa Passion. Dans cet intervalle de temps le cœur de Jésus est rempli d’angoisse ou, selon d’autres traductions : Et combien je suis oppressé jusqu’à ce que cette immersion soit accomplie ! Comme si Jésus avait hâte d’arriver au terme de sa vie terrestre, comme s’il avait hâte de pouvoir prononcer sur la croix la parole de l’accomplissement : Tout est accompli ! Dans le chapitre suivant de l’Evangile selon saint Luc Jésus nous donne un éclairage supplémentaire sur cette angoisse qui habite son cœur jusqu’au temps de l’accomplissement : À ce moment-là, quelques pharisiens s’approchèrent de Jésus pour lui dire : « Pars, va-t’en d’ici : Hérode veut te tuer. » Il leur répliqua : « Allez dire à ce renard : voici que j’expulse les démons et je fais des guérisons aujourd’hui et demain, et, le troisième jour, j’arrive au terme. Mais il me faut continuer ma route aujourd’hui, demain et le jour suivant, car il ne convient pas qu’un prophète périsse en dehors de Jérusalem.

Nous comprenons le lien entre le verset du désir et celui de la nécessité. Sans le baptême de la Passion qui doit s’accomplir à Jérusalem, pas de don de l’Esprit Saint au jour de la Pentecôte. C’est dans son baptême de sang que Jésus apportera pour toujours le feu de son amour divin sur notre terre et c’est l’Esprit Saint qui allumera ce feu dans nos cœurs si nous répondons généreusement au don de cet amour dans l’action de grâce.

 

vendredi 15 août 2025

Assomption de Marie 2025

Si le Nouveau Testament nous parle de l’Ascension de Jésus, rien de tel pour l’Assomption de sa mère, Marie. Ce point de notre foi est le fruit d’une réflexion de la tradition théologique. L’Evangile de l’Assomption est donc celui de la Visitation. Il est alors intéressant de se demander pour quelle raison l’Eglise a choisi cet épisode de la vie de Marie pour nous introduire au mystère de son Assomption. La note dominante du récit de la Visitation est bien la joie. Joie de Jean dans le sein de sa mère Elisabeth, joie d’Elisabeth et enfin joie de Marie :

Lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi.

D’où me vient ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?

Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !

La joie dont Marie est comblée et qu’elle répand autour d’elle lui vient de sa maternité et du fait qu’elle est pleine de grâce. Jésus, avant même sa naissance, agit dans le sein de sa mère et l’Esprit Saint préside à la rencontre de la Visitation. Au terme de sa vie terrestre Marie, dans le mystère de son Assomption, est parfaitement établie dans la joie de Dieu. La joie annoncée et goûtée au moment de la Visitation s’accomplit alors pour toujours dans son être tout entier, corps et âme, dans la béatitude du Royaume. Le magnifique chant du Magnificat qui concentre en lui les trésors de la spiritualité d’Israël est un chant que Marie peut reprendre dans sa Pâque, lorsqu’elle est parfaitement et définitivement assumée par la puissance de l’amour de Dieu Sauveur. De ce point de vue le Magnificat n’est pas seulement une expression de la joie et de l’espérance du croyant en pèlerinage sur cette terre, il est aussi le chant de l’aboutissement de ce pèlerinage qui est la joie même de Dieu répandue avec surabondance dans le cœur des saints et des saintes. Oui, Marie, désormais tous les âges te diront bienheureuse car tu participes la première à la gloire de la résurrection de ton Fils. Dans la traduction de Le Maistre de Sacy Marie commence ainsi son Magnificat : « Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur ». L’Assomption accomplit ce ravissement de Marie en Dieu et par Dieu. Les paroles de Marie dans le Magnificat semblent être une prophétie du Royaume et de la fin des temps, un désir, une espérance davantage qu’une réalité : Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides.

Notre expérience humaine semble démentir ces paroles de Marie. Les puissants restent sur leur trône et font sentir leur pouvoir en opprimant les humbles, même s’il leur arrive d’être renversés ou tout simplement de mourir. Les riches sont toujours plus riches tandis que la pauvreté est de plus en plus visible, pas seulement ailleurs mais aussi dans notre pays. Bref notre monde est douloureusement marqué par l’injustice et le mal, souffrant de l’arrogance des superbes qui se croient tout permis et se placent au-dessus des lois. Dans certains cas particuliers les paroles de Marie se vérifient, mais l’ordre général du monde demeure à l’opposé de l’esprit du Magnificat. La joie de Marie dans le mystère de son Assomption, c’est l’anticipation du règne de la justice de Dieu, du règne de la sainteté. Elle sait que les paroles qu’elle a prononcées sous l’inspiration de l’Esprit, alors qu’elle était une jeune fille de Nazareth, connue de Dieu seul, et portant en elle le Fils bien-aimé du Père, elle sait que ces paroles s’accompliront dans le Royaume. La joie de Marie en son Assomption est bien celle de l’accomplissement du Royaume, donc du projet de Dieu pour toute sa création. Le récit de la Visitation nous donne les deux clés qui nous permettent d’entrer déjà, à l’exemple de Marie, dans la joie de Dieu, dans l’attente de l’accomplissement du Royaume : la foi et l’humilité.

Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur.

Il s’est penché sur son humble servante.

L’humble et petite Marie a eu une première joie, celle de l’accomplissement du message de Gabriel au moment de l’Annonciation. Au terme de sa vie terrestre elle perçoit dans une joie infiniment plus intense l’accomplissement du salut de Dieu par Celui qu’elle a mis au monde et contemplé, douloureuse, au pied de la croix, communiant maintenant à sa vie de Ressuscité :

Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort.

 

dimanche 10 août 2025

19ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 10/08/2025

Luc 12, 32-48

Dimanche dernier nous avons entendu l’avertissement de Jésus, le verset 21 du chapitre 12 de l’Evangile selon saint Luc :

Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu.

En ce dimanche, avec la lecture suivie de l’Evangile selon saint Luc, Jésus revient sur ce point de son enseignement et le développe aux versets 33 et 34 :

Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, là où le voleur n’approche pas, où la mite ne détruit pas. Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur.

Cette insistance du Seigneur pour nous mettre en garde contre la tentation de l’avidité et de l’avarice mérite qu’on s’y arrête. Si nous réfléchissons, nous nous rendons compte, au vu de l’expérience humaine au cours des siècles, que deux tentations principales habitent le cœur de tout homme depuis le péché des origines : celle du pouvoir et celle de l’accumulation sans fin des richesses. Très souvent les guerres, les divisions et la violence peuvent être reliées à l’une de ces tentations. Elles illustrent chacune à sa manière la vanité de l’homme qui n’est pas spirituel. Se sachant mortel, il veut se faire dieu par l’illusion du pouvoir et des richesses. Dans les deux cas il cherche à dominer ses semblables en oubliant la fraternité fondamentale instaurée par Dieu Père et Créateur. Nous comprenons bien que ces tentations vont de pair avec le péché capital d’orgueil. Elles causent non seulement la perte de celui qui s’y livre mais sont aussi à l’origine de la plupart des maux qui accablent l’humanité (cf. 1 Timothée 6, 10). C’est la raison pour laquelle Jésus n’a pas seulement mis en garde ses disciples contre l’avidité et l’appât du gain mais aussi contre cette soif de pouvoir qui dans son paroxysme aboutit aux dictateurs prêts à faire périr avec eux le monde tout entier plutôt que de renoncer à la vanité du pouvoir qu’ils croient avoir. N’oublions pas que la société fourmille aussi de petits dictateurs, tout aussi nuisibles pour leurs semblables et pour le bien commun. Jésus aborde cette question au chapitre 22 du même Evangile :

Les rois des nations les commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert.

Pour résister à cette double tentation du pouvoir et de l’argent Jésus nous donne plusieurs indications dans cette page évangélique.

En premier lieu le verset 32 qui est une invitation à la foi, à la confiance en Dieu : Sois sans crainte, petit troupeau : votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. Nous ne pouvons pas être libres si nous vivons dans la peur. Bien souvent ceux qui mettent leur confiance dans le pouvoir et dans l’argent tentent ainsi de calmer la peur de la mort en se créant une personnalité. Ils se divinisent eux-mêmes au lieu d’accueillir la grâce du Christ qui seule peut les diviniser jusque dans la vie du Royaume. Ils oublient que tout pouvoir véritable n’appartient qu’à Dieu et que Dieu ne se comporte jamais en dictateur. Son unique pouvoir consiste en effet à donner la vie et à aimer. Deuxième indication pour résister à la tentation de l’avidité : elle est toute simple, il s’agit de l’aumône. Donner pour ne pas être esclave de ses richesses. Le Seigneur n’hésite pas dans ce contexte à utiliser le vocabulaire de la banque et de l’épargne. Le seul capital que nous emporterons dans notre tombe, c’est celui de l’aumône, capital indestructible car inscrit non pas dans les ordinateurs de nos banques mais dans le cœur de Dieu. Luttons donc courageusement contre le mal de l’avidité en lui opposant son contraire qui est la générosité. En Luc 11, 41 Jésus nous dit : Donnez plutôt en aumône ce que vous avez, et alors tout sera pur pour vous. Enfin Jésus nous donne comme un proverbe, précieux par sa profonde vérité : Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. Cela signifie clairement que si nous mettons notre trésor (traduisons : ce qui est le plus important pour nous, nos priorités) dans le pouvoir et les richesses, Dieu devient secondaire, au mieux un ornement de notre vie entièrement captive de nos ambitions terrestres, donc de la vanité.

[Cela donne la raison du contenu de deux versets particulièrement clairs des Evangiles :

Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux.

Et celui-ci que nous entendrons le 21 septembre :

Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. ]

 

 

 

dimanche 3 août 2025

18ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 3/08/2025

Luc 12, 13-21

Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède.

Dans l’Evangile de ce dimanche le Seigneur nous met en garde contre une tentation qui habite le cœur de tout homme, celle qui consiste à accumuler sans aucune limite les richesses et les biens matériels. L’avidité va très souvent de pair avec le péché capital de l’avarice. On se souvient peut-être d’une déclaration d’un ministre de l’économie qui, en 2015, incitait les jeunes à devenir milliardaires… « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires ». Cela en dit long sur sa vision de la jeunesse, du bonheur et de la réussite. La très grande majorité des jeunes français n’a aucune envie de devenir milliardaire. Ils veulent juste vivre heureux et épanouis dans leur travail et dans leur vie affective et relationnelle. Ce qu’ils désirent, c’est une vie digne, une vie qui vaille le coup d’être vécue. Le ministre projetait alors son manque d’idéal personnel sur la jeunesse… Dans le livre de Qohélet dont nous avons entendu un passage dans la première lecture le sage nous décrit bien le mécanisme de l’avidité, un mécanisme qui rend malheureux celui qui en est prisonnier :

Voici un homme seul, sans personne, ni frère ni fils, qui travaille à n’en plus finir, toujours avide de plus de richesses. Il ne se demande pas : « Mais pour qui travailler ainsi en me privant de bonheur ? » C’est encore de la vanité, une besogne de malheur. […] Qui aime l’argent n’a jamais assez d’argent, et qui aime l’abondance ne récolte rien. Cela aussi n’est que vanité. Plus il y a de richesses, plus il y a de profiteurs. Que va en retirer celui qui les possède, sinon un spectacle pour ses yeux ? Le travailleur dormira en paix, qu’il ait peu ou beaucoup à manger, alors que, rassasié, le riche ne parvient pas à dormir.

La petite histoire que nous raconte Jésus illustre bien tous les soucis et les tracas de celui qui est trop riche, qui vit dans la surabondance : Il se demandait : “Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.” Cet homme a déjà tout le nécessaire et même davantage pour « jouir de l’existence », mais il n’en jouit même pas, tout préoccupé qu’il est de construire de nouveaux entrepôts pour pouvoir accumuler ses trop grandes richesses. Il parle au futur mais le présent le rattrape avec sa propre mort. Derrière l’avidité il y a la conviction que l’argent nous donne le pouvoir et la maitrise sur toutes choses. Il y a la divinisation de l’argent qui prend la place de Dieu. Or, nous prévient Jésus, la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. Et puis peut-on se contenter d’avoir comme idéal de « jouir de l’existence » ? Il est bon de savoir profiter des bons moments que la vie nous offre, ils sont rares et précieux. Mais il peut y avoir le danger de ne vivre que pour soi, la tentation de l’égoïsme qui va souvent de pair avec l’avidité. Une autre histoire aurait pu être celle de l’homme riche de la parabole. Se contenter de ses greniers déjà bien remplis, et au lieu d’en construire de plus grands, il aurait pu donner le surplus de ses richesses aux pauvres et aux nécessiteux. Et la phrase du ministre aurait pu être la suivante : « Il faut des jeunes Français qui aient envie d’être généreux et de partager leurs talents, leurs dons et leurs biens avec les autres ». Dans son homélie sur cet Evangile saint Basile de Césarée s’adresse ainsi à l’homme riche en pointant du doigt son avarice : « Tu ne connais qu’une parole : Je n’ai rien, je ne donnerai rien, car je suis pauvre. Oui, tu es pauvre, tu ne possèdes aucun bien : tu es pauvre d’amour, pauvre de bonté, pauvre de foi en Dieu, pauvre d’espérance éternelle ». Tel est le malheur de celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. Dans cette perspective nous comprenons mieux l’appel de Paul dans la deuxième lecture : Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. Ici aucun mépris de notre vie terrestre et de ses exigences. Il s’agit seulement de mettre chaque chose à sa juste place. Il s’agit de résister par notre orientation croyante vers les réalités d’en haut à la tyrannie de l’avidité et de l’avarice qui appauvrissent l’horizon de notre vie humaine et nous rendent malheureux. Le psaume de ce dimanche nous fait faire cette belle prière :

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse.

L’oraison de la messe de dimanche dernier nous indique parfaitement dans quel esprit nous pouvons recevoir l’enseignement de Jésus sur la richesse. Il s’agit bien pour nous, en nous laissant conduire par Dieu, de faire un bon usage des biens qui passent et de nous attacher à ceux qui demeurent. Seuls ces derniers ne sont pas marqués par la vanité des biens qui passent.

 

 

 

dimanche 20 juillet 2025

16ème dimanche du temps ordinaire / année C

 20/07/2025

Luc 10, 38-42

Dans l’Evangile de Jésus chez Marthe et Marie saint Luc nous peint un petit tableau particulièrement vivant. On imagine aisément la scène. Marthe, voulant offrir un excellent repas à son hôte de marque, ne cesse de courir entre la cuisine et la salle à manger, accaparée par les multiples occupations du service. Sa sœur, Marie, immobile, se tient auprès de Jésus et écoute sa parole. L’une est debout, en mouvement, et veut nourrir Jésus, l’autre est assise, calme, et veut se nourrir de la parole de Jésus. Il ne s’agit pas tant d’opposer les deux sœurs que de réfléchir à ce que signifie l’hospitalité, accueillir une personne lors d’un repas. Pourquoi le Seigneur peut-il dire que Marie a choisi la meilleure part ?

Accueillir chez soi une personne à l’occasion d’un repas, c’est toujours bien plus que donner à manger et à boire. Dans notre humanité le repas n’a pas seulement une fonction organique, redonner force et énergie au corps qui réclame son carburant. Le repas a une fonction sociale : il est l’occasion d’établir (ou pas) des liens, des relations. Il permet des échanges à travers les conversations des uns avec les autres. La qualité de la nourriture proposée est une chose, la qualité des relations qu’un repas permet en est une autre. En témoignent deux versets du livre des Proverbes :

Mieux vaut un plat de légumes servi avec amour que du veau gras et de la haine. (15, 17)

Mieux vaut du pain sec, et la paix, qu’une salle de banquet pleine de discorde. (17, 1)

Marie a choisi la meilleure part parce que son accueil de Jésus se fait attention à ce qu’il est, écoute de sa parole. Je peux bien participer à un banquet succulent, mais si je suis laissé de côté, ignoré, ce banquet deviendra pour moi un supplice et je n’aurais qu’une envie, c’est qu’il se termine au plus vite. Nous avons tous vécu cette situation pénible. L’art du repas pour les humains, c’est essentiellement l’art de la relation et de l’échange. L’hôte n’est pas seulement celui à qui on veut offrir des mets succulents, il est surtout celui de qui on peut recevoir. Dans un repas il ne s’agit pas seulement de donner, mais de se rendre disponible pour recevoir la richesse de l’autre. C’est l’attitude de Marie. En recevant la parole de Jésus, en l’écoutant, elle lui fait le don de sa disponibilité et de son ouverture.

La première lecture nous montre que Dieu est présent dans nos repas, et ce n’est pas un hasard si Jésus a choisi la forme d’un repas pour le sacrement de l’eucharistie. Même si nous n’avons pas la possibilité comme Marthe et Marie d’accueillir à nos tables le Jésus de chair, la lettre aux Hébreux nous fait comprendre que l’hospitalité donnée en particulier à des inconnus peut être une véritable visite de Dieu, une parole de Dieu qui nous est adressée :

Que demeure l’amour fraternel ! N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges.

A l’histoire d’Abraham et de Sara dans la Genèse correspond un beau mythe dans les Métamorphoses du poète latin Ovide. Au livre VIII Ovide nous raconte l’histoire de Philémon et de Baucis, un vieux couple, humble et pauvre, qui accueillent chez eux, sans le savoir, Jupiter et Mercure, se promenant incognito sur terre pour se faire une idée de la moralité des mortels. Ils furent déçus car « dans mille maisons ils se présentèrent, demandant un endroit où se reposer ; dans mille maisons on ferma les verrous ». Seul un pauvre couple de vieillards les accueille. Et Ovide de noter que, pendant la préparation de l’humble repas, Philémon et Baucis « charment par leurs entretiens les instants qui séparent encore leurs hôtes du repas et s’efforcent de leur épargner l’ennui de l’attente ». Après avoir décrit la simplicité du menu offert aux visiteurs, le poète écrit : A tout cela s’ajoute ce qui vaut mieux encore, des visages bienveillants et un accueil qui ne sent ni l’indifférence ni la pauvreté. Le récit s’achève par la punition des voisins qui ont refusé d’accueillir chez eux les divins voyageurs. Tandis que leurs belles maisons sont englouties par les flots, la maison de Philémon et Baucis, « cette vieille cabane, trop petite même pour ses deux maitres, se change en un temple ». Cette belle histoire célèbre l’hospitalité comme une vertu divine. A l’instar du récit de Marthe et Marie, elle nous enseigne comment recevoir nos hôtes avec des visages bienveillants, pratiquant un accueil qui ne sent ni l’indifférence ni la pauvreté, même si le repas est simple et frugal, dans le don essentiel de l’écoute. L’attitude de Marie qui a choisi la meilleure part lors d’un repas terrestre n’est-elle pas celle que nous sommes invités à faire notre lors du repas de l’eucharistie ?