dimanche 3 novembre 2024

31ème dimanche du temps ordinaire / année B. 2024

 

3/11/2024

Marc 12, 28-34 (Oraison du 25ème dimanche du TO)

Quel est le premier de tous les commandements ? Telle est la question du scribe. Derrière cette question nous trouvons son désir de connaître ce qui fait le cœur de la Loi, l’essentiel ou encore ce qui est le plus important. Notre scribe est essentialiste dans le sens de la théorie exposée par Greg McKeown dans son livre de 2018 L’essentialisme. Le scribe recherche probablement le moyen de simplifier et d’unifier sa propre vie religieuse et spirituelle. Or la religion Juive pouvait sembler compliquée et difficile avec sa multitude de préceptes et de commandements. Jésus dans sa réponse effectue cette synthèse qui permet d’aller en effet à l’essentiel et de simplifier la vie du croyant. Il donne le cœur de toute la Loi et ce qui en constitue l’esprit. Saint Paul a parfaitement saisi la portée de la réponse de Jésus lorsqu’il écrit dans sa lettre aux Romains : N’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel, car celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi. La Loi dit : Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas de vol, tu ne convoiteras pas. Ces commandements et tous les autres se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L’amour ne fait rien de mal au prochain. Donc, le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour. Dans la version que saint Matthieu donne de l’Evangile sur le plus grand des commandements, c’est Jésus lui-même qui affirme ce que Paul reprend dans sa lettre aux Romains de manière plus développée : De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes.

Le scribe se réjouit de la réponse du Seigneur et se permet de faire un commentaire qui est au niveau de la réponse qui lui a été donnée : Fort bien, Maître, tu as dit vrai : Dieu est l’Unique et il n’y en a pas d’autre que lui. L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices.

Avant même la destruction du temple de Jérusalem et la fin du culte centré sur les sacrifices, Jésus et le scribe annoncent le culte nouveau en esprit et en vérité. Un culte meilleur, supérieur à l’ancien, et surtout bien plus exigeant, un culte qui lie de manière indissoluble la piété à ce que nous appelons la morale et qui rappelle surtout la priorité du cœur dans notre relation avec Dieu, donc l’intériorité et la vie spirituelle authentique à laquelle nous sommes tous appelés. Cet accomplissement de la Loi dans l’Esprit avait déjà été préparé et annoncé par les prophètes à de nombreuses reprises. Le livre d’Isaïe s’ouvre par une critique de la religion sacrificielle et par un appel pressant à la conversion morale : Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de ma vue vos actions mauvaises, cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien : recherchez le droit, mettez au pas l’oppresseur, rendez justice à l’orphelin, défendez la cause de la veuve. Il est plus facile pour nous de sacrifier un animal dans un temple que de renoncer au mal et d’éteindre la flamme du péché dans le sanctuaire de notre cœur. Un autre prophète, Michée, a bien entrevu la simplification exigeante de la religion proclamée par Jésus avec la loi de l’amour : Comment dois-je me présenter devant le Seigneur ? demande le peuple. Comment m’incliner devant le Très-Haut ? Dois-je me présenter avec de jeunes taureaux pour les offrir en holocaustes ? Prendra-t-il plaisir à recevoir des milliers de béliers, à voir des flots d’huile répandus sur l’autel ? Donnerai-je mon fils aîné pour prix de ma révolte, le fruit de mes entrailles pour mon propre péché ? – Homme, répond le prophète, on t’a fait connaître ce qui est bien, ce que le Seigneur réclame de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité, et t’appliquer à marcher avec ton Dieu.

En dehors du judéo-christianisme la même exigence de cohérence entre religion et comportement éthique, le même déplacement du sens de l’offrande de l’extérieur vers l’intérieur, se sont faits ressentir comme en témoigne par exemple ce passage d’une satire écrite au 1er siècle par le poète latin Perse : Que ne donnons-nous aux dieux ce que ne pourrait leur donner sur un grand plat la progéniture aux yeux malades du grand Messala : une âme où règne harmonieusement le droit humain et le droit divin, un esprit sanctifié jusque dans ses replis et un cœur trempé d’honnêteté généreuse. Que je puisse apporter cela dans les temples et avec du froment j’apaiserai les dieux[1].

Enfin nous pouvons accueillir à nouveau la parole du prophète Osée devenue Evangile dans la bouche du Christ :

Je veux la fidélité, non le sacrifice, oracle du Seigneur, la connaissance de Dieu plus que les holocaustes.

 



[1] Traduction de Bernard Pautrat : Hélas, que n’offrons-nous à ceux d’en-haut cela que ne pourrait donner sur un plateau la race aux yeux pourris de vice de Messala le grand : une âme présentant un bel agencement de probe et de pieux, un esprit vertueux jusque dans ses recoins, et un cœur tout imbu d’honnête généreux. Ça, qu’il me soit donné de l’apporter aux temples, et la faveur des dieux se nourrira de grain.

31ème dimanche du temps ordinaire / année B

 

31/10/2021

Marc 12, 28-34

A la question du scribe qui veut savoir quel est le premier de tous les commandements, Jésus répond en citant le commandement de l’amour de Dieu et du prochain, déjà présent dans l’Ancien Testament. Ces commandements sont les plus grands. Ce faisant il simplifie la vie de ses disciples, si nous nous souvenons de ce que la Torah contenait 613 préceptes différents ! En même temps cette simplification de la vie religieuse et morale du croyant correspond à une exigence plus grande. Si la voie que Dieu nous trace est simple comme Dieu lui-même est simple, elle est difficile à mettre en pratique en raison de la faiblesse du péché et surtout à cause du péché des origines. Dans le premier commandement qui concerne l’amour envers Dieu, il s’agit d’un amour très fort, d’un amour total qui engage toute notre personne (cœur, âme, esprit et force). Il s’agit d’un amour qui ne se limite pas aux temps de prière et de culte, mais qui a pour vocation à remplir chaque instant de notre vie humaine. Cette vérité est à mettre en lien avec l’enseignement de Jésus selon lequel il nous faut prier en permanence. Toute notre vie devant devenir un acte de prière, donc d’amour de Dieu. Ce qui nous rend très difficile l’accomplissement effectif de ce commandement, c’est que notre esprit et notre cœur sont occupés par bien des choses, attachés à bien des choses. Ne croyons pas que la première partie de ce commandement ne concerne que les Juifs et les chrétiens de l’antiquité qui vivaient au milieu de peuples adorant une multitude de dieux… Le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Nous ne sommes plus tentés par le culte de Jupiter, du Soleil, de Baal ou de Mithra, mais cela ne signifie pas pour autant que nous ne nous sommes pas donné de nouvelles idoles. Ces idoles contemporaines ne sont pas représentées par des statues devant lesquelles on se prosterne. Elles peuvent avoir des noms bien différents : l’argent, la patrie, la famille ou le clan ou la tribu ou encore l’ethnie, la politique, la science etc. Il est si facile de mettre Dieu et l’Evangile au service de l’une de ces idoles, en renversant l’ordre des priorités. L’instrumentalisation de la religion n’est pas chose nouvelle, elle n’en demeure pas moins une tentation de notre temps.

Le commentaire du scribe est d’une importance capitale car il récupère la grande tradition des prophètes : Fort bien, Maître, tu as dit vrai : Dieu est l’Unique et il n’y en a pas d’autre que lui. L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. Le cœur du Judaïsme et du christianisme ne consiste pas en effet dans l’accomplissement de rites, aussi sacrés soient-ils. Le culte que Dieu désire et attend de nous se célèbre à chaque instant sur l’autel de notre cœur par les actes de foi, d’espérance et de charité. Jésus lui-même a fait sienne la critique prophétique des sacrifices. A ceux qui lui reprochaient sa proximité avec les pécheurs, il répondit en citant le prophète Osée : Allez apprendre ce que signifie : Je veux la miséricorde, non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs.

Enfin ce qui constitue peut-être la spécificité de Jésus dans son enseignement, c’est ce lien indissoluble qu’il établit entre le commandement de l’amour pour Dieu et celui de l’amour pour le prochain, lien mis en lumière de manière admirable par l’apôtre Jean :

Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu », alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas. Et voici le commandement que nous tenons de lui : celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère.

Ainsi l’amour envers notre prochain est le test de la vérité de notre amour envers Dieu. Voilà le sacrifice authentique et véritable qui plaît à Dieu. Seul l’Esprit Saint, le lien d’amour entre le Père et le Fils, peut remplir notre cœur d’amour, de joie, de paix, de patience, de bonté, de bienveillance, de fidélité, de douceur et de maîtrise de soi. Demandons Lui au cours de cette eucharistie sa lumière et sa force, pour que nous ne perdions pas courage sur ce chemin exigeant et quotidien de la sainteté.

vendredi 1 novembre 2024

TOUSSAINT 2024

 


Toussaint 2024

Gaudete et exsultate n°112-121 (pape François)

En cette solennité de la Toussaint j’aimerais m’appuyer sur l’enseignement que le pape François nous a donné dans son exhortation apostolique de 2018 sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel (Gaudete et exsultate). Dans le quatrième chapitre de ce texte le pape aborde quelques caractéristiques de la sainteté dans le monde actuel et il en retient cinq. Aujourd’hui nous méditerons ce qu’il nous dit de la première de ces caractéristiques : Endurance, patience et douceur.

Dans la première partie de son enseignement le pape nous parle d’une force intérieure qui est en nous la source de la paix. Cette force nous vient de notre union avec Dieu.

La première de ces grandes caractéristiques, c’est d’être centré, solidement axé sur Dieu qui aime et qui soutient. Grâce à cette force intérieure, il est possible d’endurer, de supporter les contrariétés, les vicissitudes de la vie, et aussi les agressions de la part des autres, leurs infidélités et leurs défauts (n°112) … Grâce à cette force intérieure, le témoignage de sainteté, dans notre monde pressé, changeant et agressif, est fait de patience et de constance dans le bien.

Le pape souligne avec raison que nous vivons dans une atmosphère marquée par l’agressivité et la violence, qui peut aussi se déchaîner sur Internet (n°115) et à laquelle des chrétiens peuvent participer. En tant que chrétiens nous pouvons en effet nous laisser facilement contaminer par cette atmosphère. Le pape cite le verset 21 du chapitre 12 de la lettre de saint Paul aux Romains : Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien. Il nous fait remarquer que cette attitude n’est pas un signe de faiblesse, mais de vraie force. La force intérieure du chrétien face aux adversités et aux épreuves implique une lutte contre nos mauvais penchants, une lutte dans laquelle nous nous appuyons sur l’amour fidèle de Dieu et le don de sa grâce en Jésus-Christ. Le pape écrit au n°114 :

Il nous faut lutter et être attentifs face à nos propres penchants agressifs et égocentriques pour ne pas permettre qu’ils s’enracinent.

Dans la seconde partie de sa méditation le pape nous oriente peu à peu vers la vertu d’humilité qui va de pair avec la force intérieure qui nous permet de vaincre le mal par le bien. Sa description de la force intérieure du chrétien nous ramène aux Béatitudes des doux et des pacifiques ainsi qu’au Magnificat de la Vierge Marie :

La force intérieure qui est l’œuvre de la grâce nous préserve de la contagion de la violence qui envahit la vie sociale, car la grâce apaise la vanité et rend possible la douceur du cœur. 

Une manière de participer à la violence de la vie sociale consiste à s’estimer supérieur aux autres et à se comporter à leur égard en juges :

Il n’est pas bon pour nous de regarder de haut, d’adopter la posture de juges impitoyables, d’estimer les autres indignes et de prétendre donner des leçons constamment. C’est là une forme subtile de violence.

Dans les numéros 118 à 121, le pape aborde une question délicate, celle du rapport entre humilité et humiliations.

L’humilité ne peut s’enraciner dans le cœur qu’à travers les humiliations. Sans elles, il n’y a ni humilité ni sainteté. (118).

Les humiliations ne représentent pas une valeur positive en elles-mêmes, le chrétien n’est pas un masochiste qui aimerait souffrir que ce soit physiquement ou moralement. Pour éviter tout malentendu sur ce point le pape précise :

Je ne dis pas que l’humiliation soit quelque chose d’agréable, car ce serait du masochisme, mais je dis qu’il s’agit d’un chemin pour imiter Jésus et grandir dans l’union avec lui. Cela ne va pas de soi et le monde se moque d’une pareille proposition. (120)

Nous ne recherchons donc pas les humiliations mais lorsqu’elles surviennent dans nos vies de la part de notre prochain nous essayons de les vivre dans l’esprit de l’imitation du Christ car l’humiliation nous conduit à ressembler à Jésus (118). Dieu peut utiliser cette épreuve pour nous remettre dans l’humilité et nous faire grandir dans la douceur. Le cœur qui est capable de supporter l’humiliation par amour du Christ devient un cœur pacifié par le Christ, libéré de cette agressivité qui jaillit d’un égo démesuré (121).

Pour accueillir la paix intérieure que le Christ nous donne dans son amour miséricordieux, mettons notre confiance en lui seul, convaincus de ce que notre force intérieure vient de lui :

Ne tombons donc pas dans la tentation de chercher l’assurance intérieure dans le succès, dans les plaisirs vides, dans la possession, dans la domination des autres ou dans l’image sociale : « Je vous laisse la paix ; c’est ma paix que je vous donne ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne » (Jean 14, 27).

 


dimanche 27 octobre 2024

30ème dimanche du temps ordinaire 2024 / année B

 

27/10/2024

Marc 10, 46-52

A la sortie de Jéricho, au bord de la route, Bartimée fait la rencontre de Jésus ; le fils de Timée rencontre le fils de David. Privé de la vue et réduit à l’état de mendiant, il entend que c’est Jésus de Nazareth qui passe. C’est par le sens de l’ouïe qu’il perçoit tout d’abord la présence du Messie. Cela peut nous rappeler un verset de saint Paul dans sa lettre aux Romains : La foi naît de ce que l’on entend ; et ce que l’on entend, c’est la parole du Christ.

Bartimée crie sa supplication : Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! Mais son cri, son appel au secours, dérange l’entourage de Jésus : Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire.

L’évangéliste Marc nous livre ici une profonde leçon. Car l’entourage de Jésus, c’est chacun d’entre nous qui nous réclamons de son nom au sein de l’Eglise. Cela nous pose la question suivante : Sommes-nous chrétiens dans l’oubli, voire le mépris, de ceux qui sont au-dehors ? Sommes-nous des obstacles entre ceux qui crient vers Jésus et Jésus ? Il y a bien des manières d’envisager notre relation avec le Christ. Elles ne se valent pourtant pas toutes. La manière catholique exclue la relation qui ferait du Christ notre « propriété » aux dépens des autres. Nous ne sommes pas les gardes du corps du Christ, chargés d’empêcher ceux de l’extérieur de s’approcher de lui ou de lui adresser la parole. Dans le cortège du Christ nous aimons être proches de Lui sans toutefois constituer une barrière entre lui et nos frères des périphéries pour reprendre le vocabulaire du pape François. Bartimée représente bien toutes ces personnes des périphéries qui crient vers le Christ et qui parfois se heurtent aux murs de nos indifférences et de notre manque d’accueil et de miséricorde. L’Eglise est le contraire d’un club privé d’élite où l’on cultiverait l’entre-soi.

Bartimée est plus fort que le mur que l’on tente d’établir entre lui et le Christ. Il ne se décourage pas et persiste dans son appel qui est entendu par le Seigneur : Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le ». L’ordre du Seigneur contraint ceux qui l’entourent à prendre en considération Bartimée : On appelle donc l’aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. » D’obstacle qu’il était l’entourage de Jésus se fait le relais de sa parole, une parole d’encouragement, un appel qui ressuscite le mendiant aveugle. En tant que disciples nous pouvons être chacun pour notre part le relais de l’appel que le Seigneur adresse à tout homme pour qu’il se relève, mette sa foi en Jésus et le suive. Nous pouvons susciter cette confiance, cette espérance par lesquelles celui qui était au-dehors se retrouvera intégré au-dedans de la maison Eglise, de la communauté en marche autour et à la suite du Christ. Bartimée, ayant retrouvé la vue au contact du Seigneur, est un homme nouveau. Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt l’homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin.

Ecoutons une partie du commentaire de Bède le vénérable : Dès que le peuple des gentils eut appris la célébrité du nom de Jésus-Christ, il cherche à participer à ses grâces, malgré les oppositions nombreuses d'abord des Juifs, puis des gentils eux-mêmes, qui ne voulaient pas que le monde rendu à la lumière invoquât le nom de Jésus-Christ ; cependant leurs violentes attaques ne purent priver de la grâce du salut ceux qui étaient prédestinés à la vie… Le Seigneur appelle à lui cet aveugle qui crie, lorsqu'il charge les prédicateurs de porter aux gentils la parole de la foi. Ceux-ci appellent l'aveugle, l'excitent à la confiance, lui commandent de se lever et de venir trouver le Seigneur, lorsqu'en instruisant les ignorants, ils font naître dans leur âme l'espérance du salut, les font sortir de la fange des vices, et leur commandent de se préparer aux combats de la vertu.

dimanche 20 octobre 2024

29ème dimanche du temps ordinaire / année B

 

20/10/2024

Marc 10, 35-45

Dimanche dernier nous avons entendu l’histoire de l’homme riche appelé par Jésus qui devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens. Aujourd’hui l’Evangile nous parle des apôtres, de ceux qui suivent déjà Jésus. Tout d’abord de Jacques et de Jean qui veulent réserver les meilleures places dans le Royaume de Dieu et puis des dix autres qui s’indignent contre Jacques et Jean. Autant dire que l’évangéliste ne nous cache pas les faiblesses de ces hommes que Jésus a pourtant choisis pour être ses apôtres, c’est-à-dire ses envoyés pour proclamer son message au monde entier. Les deux passages du chapitre 10 de l’Evangile selon saint Marc se complètent admirablement bien. Après la tentation de l’Argent-idole vient la tentation du Pouvoir-idole… La vanité de l’homme pécheur lui fait en effet estimer au plus haut point la richesse et le pouvoir. Le désir d’être le premier, le mieux placé, le plus riche et le plus puissant font partie de notre condition humaine après le péché des origines. Nous oublions en permanence le message de l’Ecclésiaste, Vanité des vanités, tout est vanité, y compris et surtout les richesses et le pouvoir. C’est la misère de l’homme sans Dieu décrite en ses moindres détails par Pascal dans ses Pensées. « Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même » ; « L’homme est vain par l’estime qu’il fait des choses qui ne sont point essentielles » ; « Que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordure ». Dans ces trois pensées Pascal n’est pas misanthrope, il est réaliste. L’exemple de Jacques et Jean confirme la vérité de ces sentences.

Jésus avec patience essaie d’éduquer ses apôtres et de les remettre sur le chemin de la vérité qui est toujours celui de l’humilité. Il leur fait d’abord contempler le pouvoir despotique des grands de ce monde :

Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir.

Le pouvoir des apôtres, celui de l’Eglise du Christ, ne saurait être une imitation du pouvoir des puissants qu’ils soient rois, empereurs, dictateurs, tyrans ou présidents. Jésus détourne le regard de ses apôtres, fasciné par les grandeurs de ce monde, pour l’orienter à nouveau vers sa propre personne qui est l’unique mesure de toute véritable grandeur :

Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude.

Depuis l’époque de Constantin jusqu’à nos jours cette tentation des apôtres Jacques et Jean a été permanente dans l’Eglise : vouloir imiter le pouvoir des grands de ce monde, s’allier avec eux pour obtenir en retour puissance, prestige et richesse… L’Eglise y a souvent perdu sa liberté et surtout sa capacité à être apostolique, c’est-à-dire à transmettre l’Evangile en témoignant d’une échelle de valeurs qui n’est pas celle du monde, qui est même très souvent opposée à ce qui est estimé dans le monde. D’où, dès la première génération chrétienne, la mise en garde de l’apôtre Paul :

Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.

Confronté à l’ambition humaine de ses apôtres qui veulent se mettre en avant et siéger sur des trônes, Jésus rappelle une fois de plus le chemin de l’Evangile :

Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous.

C’est l’humble service des frères dans la charité qui doit être la marque de fabrique du chrétien, du disciple de Jésus. Il doit être différent de ce qui se voit habituellement dans le monde : Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. C’est cette différence par rapport à la fascination exercée par les idoles de l’argent et du pouvoir qui constitue le témoignage vivant de ce que l’on est réellement attaché au Christ et à son Evangile. Cette différence du chrétien, une différence par l’esprit d’humilité, de service et de gratuité, est illustrée par l’enseignement de Jésus dans l’Evangile selon saint Matthieu :

Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens. Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux.

dimanche 6 octobre 2024

27ème dimanche du temps ordinaire / année B

 

6/10/2024

Marc 10, 2-16 (Marc 12, 24)

Jésus n’était pas marié. Il a très rarement parlé du mariage. Il existe un contraste saisissant entre les très rares paroles du Christ à ce sujet et les innombrables documents de l’Eglise consacrés au mariage et à la famille, surtout au 20ème siècle, en particulier sous le pontificat de Jean-Paul II. Le passage essentiel des Evangiles dans lequel Jésus aborde le mariage est celui que nous venons d’entendre dans la version qu’en donne saint Marc. Notons que le Seigneur donne cet enseignement en réponse à une question-piège qui lui est posée par les pharisiens, une question portant sur la possibilité du divorce. Chez saint Marc Jésus répond à cette question par une autre question : Que vous a prescrit Moïse ? Il renvoie dans un premier temps les stricts observateurs de la Loi que sont les pharisiens à cette même Loi attribuée à Moïse. Ce dernier permet le divorce tout en protégeant la femme renvoyée grâce à l’obligation d’établir un acte de répudiation. Ce n’est qu’après avoir entendu la réponse de la Loi que le Seigneur répond en donnant sa propre réponse : C’est en raison de la dureté de vos cœurs qu’il a formulé pour vous cette règle. Mais, au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. Ce passage est d’une extrême importance pour nous permettre de bien interpréter la Bible. Jésus nous donne ici une règle d’interprétation que nous pouvons employer pour d’autres sujets que le mariage. La Loi de Moïse a été donnée à des hommes pécheurs. Elle s’adapte en quelque sorte à la méchanceté du cœur humain en essayant de limiter cette méchanceté. Elle n’enlève pas le péché, elle le modère. C’est donc une loi qui tient compte de l’endurcissement des cœurs dans le péché. Le Seigneur, lui, remonte beaucoup haut que Moïse. Il nous invite à regarder le projet créateur de Dieu au commencement, donc avant le péché des origines. Jésus affirme que la Loi de la Création est supérieure à la Loi de Moïse. La première alliance, celle de la Création, l’emporte en sainteté et en importance sur l’alliance conclue plus tard à l’époque de Moïse. Si le Seigneur affirme nettement l’indissolubilité du mariage, donc le refus du divorce, c’est bien parce qu’il se réfère au projet de Dieu Créateur au commencement : Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! En affirmant cela Jésus se présente comme supérieur à Moïse, ce qui a dû faire grincer des dents les pharisiens… Mis à part cette insistance sur le caractère indissoluble de l’union de l’homme et de la femme, le Seigneur se contente de citer le verset essentiel du chapitre 2 de la Genèse sur le mariage : À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ce verset 24 contient implicitement ce que nous nommons dans la préparation des couples au mariage « les piliers du mariage chrétien à l’église », trois sur quatre. Tout d’abord la liberté du consentement qui implique la maturité. C’est cela qui est signifié par l’expression « quitter son père et sa mère ». Se marier, c’est en effet être capable de se détacher de ses parents et de sa famille d’origine pour créer une nouvelle réalité : celle du couple et donc une nouvelle famille. Ce choix d’un mari ou d’une femme implique que désormais la priorité de l’amour ne va plus aux parents mais à sa femme ou à son mari. Après la liberté nous trouvons dans ce verset la fidélité et l’indissolubilité. « S’attacher à sa femme » : ce lien implique un choix exclusif donc le détachement vis-à-vis des autres femmes. Choisir sa femme, c’est exclure toutes les autres. « Devenir une seule chair », dans l’unité du corps et de l’esprit, implique que le mariage est pour toujours et que seule la mort de l’une des parties peut y mettre un terme. Il ne manque que le pilier de la fécondité, même si l’expression « une seule chair » peut faire penser à la procréation des enfants en évoquant l’union des corps. C’est dans le chapitre premier de la Genèse que la fécondité du couple est clairement affirmée sous la forme d’un commandement : Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. »

Enfin il est intéressant et utile de mettre en lien ce passage du chapitre 10 de l’Evangile selon saint Marc avec le verset 25 du chapitre 12 :

Lorsqu’on ressuscite d’entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les anges dans les cieux.

Le mariage est donc une réalité purement terrestre, limitée à notre vie sur cette terre. Dans le Royaume des Cieux cette réalité n’aura plus lieu d’être. Seule subsistera la charité universelle circulant entre les saints et les saintes dans la communion du Dieu trois fois saint.

dimanche 29 septembre 2024

26ème dimanche du temps ordinaire / année B

 

29/09/2024

Marc 9, 38-48

Dans l’Evangile de ce dimanche saint Marc a rassemblé trois enseignements du Christ : Le premier enseignement porte sur le rapport que les chrétiens doivent avoir avec ceux qui ne partagent pas leur foi ; le second sur les bienfaits accordés aux chrétiens ; le troisième sur ceux qui sont cause de scandale et font chuter les autres. A ce dernier enseignement Jésus ajoute un développement sur ce qui, en nous, nous entraîne au péché, donc sur ce qui nous fait chuter. Je me limiterai au premier enseignement qui part d’une réflexion de l’apôtre Jean, réflexion faite probablement en vue d’obtenir l’approbation de Jésus : Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent.

Avant de regarder la réponse de Jésus, il convient de bien saisir le raisonnement de Jean. Expulser les démons au nom de Jésus est une bonne chose, mais, pour Jean et les autres apôtres, il fallait l’empêcher… Car la personne qui pratiquait cette libération ne faisait pas partie du groupe des disciples. Car il n’est pas de ceux qui nous suivent. Tout groupe religieux, y compris une paroisse ou un mouvement catholique, peut connaître cette tentation du sectarisme. La réaction de Jean montre qu’il se croit le possesseur du bien, l’unique bénéficiaire de l’action de Dieu. En dehors de mon groupe Dieu n’a pas le droit d’agir ! En dehors de ma paroisse, de mon mouvement ou de l’Eglise catholique il est interdit de faire du bien. Pour caricaturer nous sommes les bons et tous les autres sont mauvais. Ce sectarisme est frontalement opposé à ce que signifie catholique, c’est-à-dire universel dans le sens d’une ouverture bienveillante à ceux qui ne font pas partie de notre groupe ou qui ne partagent pas notre foi. Au commencement de l’Eglise il a fallu faire un choix entre sectarisme et universalisme. Les judéo-chrétiens voulaient conserver pour eux seuls l’Evangile du Christ tandis que d’autres comme l’apôtre Paul n’hésitaient pas à annoncer l’Evangile aux non-Juifs, aux Grecs c’est-à-dire aux païens du vaste empire romain. C’est cette ouverture universaliste qui a lentement déplacé le centre de gravité du christianisme de Jérusalem vers Rome où Pierre et Paul ont donné le témoignage suprême du martyre. Paul a montré avec un grand talent les conséquences du baptême chrétien, et cela à deux reprises :

Car tous, dans le Christ Jésus, vous êtes fils de Dieu par la foi. En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus. (Galates 3)

Vous vous êtes débarrassés de l’homme ancien qui était en vous et de ses façons d’agir, et vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau qui, pour se conformer à l’image de son Créateur, se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance. Ainsi, il n’y a plus le païen et le Juif, le circoncis et l’incirconcis, il n’y a plus le barbare ou le primitif, l’esclave et l’homme libre ; mais il y a le Christ : il est tout, et en tous. (Colossiens 3)

La réponse de Jésus à Jean est tout le contraire d’une approbation. Il réprouve en effet l’esprit de sectarisme de son apôtre : Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous. Le projet de Dieu est celui de la réconciliation entre les hommes et de leur unité dans le Christ. Le vieil homme en nous résiste de toutes ses forces à ce salut catholique, c’est-à-dire offert à tous et qui n’exclue personne sous prétexte qu’il ne serait pas de ceux qui nous suivent. Combien de divisions, de jalousies, de ressentiment, même parfois de haine, entre les personnes et les groupes dans les paroisses et l’Eglise, en raison de cet esprit sectaire ? C’est ainsi que certains disciples sont cause de scandale en favorisant ce qui divise au lieu de rechercher ce qui nous unit : la foi et le baptême. Si ta main, si ton pied, si ton œil sont une occasion de chute, coupe-les… Ne laissons donc pas l’ivraie du sectarisme envahir notre cœur et étouffer en lui la charité catholique dont nous avons tant besoin pour que notre Eglise soit vivante et rayonnante.