Jean 1,
1-18
Nous
venons d’écouter le magnifique prologue que saint Jean donne à son Evangile. Ce
prologue est une profonde méditation de l’apôtre sur le mystère que nous
célébrons chaque année à Noël : l’incarnation.
Et le Verbe s’est fait chair, il a habité
parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme
Fils unique, plein de grâce et de vérité.
Pour nous
parler du grand mystère de l’incarnation, Jean utilise la notion de Verbe, en
grec Logos, qui signifie à la fois la
Parole et la Raison. La seconde personne de la Trinité, le Fils unique de Dieu,
c’est donc le Verbe, la Parole de Dieu. L’enfant couché dans la crèche, le fils
de Marie, nommé Jésus, est le Verbe éternel de Dieu. Cette révélation du Verbe
a été préparée par Dieu dans l’Ancienne Alliance comme en témoigne le
commencement de la lettre aux Hébreux :
A bien des reprises et de bien des manières,
Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en
ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier
de toutes choses et par qui il a créé les mondes.
Oui, le
Verbe a appelé des hommes nommés prophètes pour non seulement nous transmettre
la Parole de Dieu, mais aussi pour se révéler lui-même et pour nous préparer à l’accueillir
dans son incarnation. La Bible conserve le témoignage écrit de l’activité de
ces prophètes à travers 18 livres. Si l’on voulait résumer le contenu des
livres prophétiques, on pourrait retenir trois thèmes principaux : l’annonce
du Messie à venir et donc du mystère de Noël, la critique du culte hypocrite et
du ritualisme et enfin l’exigence de justice sociale. Parmi les prophètes Isaïe
tient une place exceptionnelle. Tout chrétien devrait avoir lu et médité au
moins une fois dans sa vie le livre d’Isaïe tellement il est essentiel pour
comprendre la personne et le message de Jésus. Je donnerai ici un seul exemple
du style vigoureux de ce prophète :
Malheureux, ces gens qui déclarent bien ce
qui est mal, et mal ce qui est bien, qui font des ténèbres la lumière et de la
lumière les ténèbres, qui rendent amer ce qui est doux et doux ce qui est amer
! […] Malheureux ! Ils rédigent des décrets malfaisants, ils inscrivent des
écrits d’oppression ! Ils refusent de rendre justice aux faibles, et privent de
leurs droits les pauvres de mon peuple ; les veuves deviennent leurs proies, et
ils dépouillent les orphelins !
Au terme
de cette longue préparation prophétique, la Parole de Dieu se manifeste
directement, de manière personnelle, en naissant du sein de la Vierge Marie. En
épousant notre condition humaine en toutes choses à l’exception du péché, le
Verbe veut nous parler en quelque sorte à partir de notre intériorité, du
dedans et non plus du dehors. Cette Parole ne vient pas de nous mais elle nous
est désormais transmise dans la personne de Jésus, notre frère en humanité.
Jean nous montre que le Verbe n’a pas été accueilli par tous et que même il a
été rejeté comme un signe de contradiction pour reprendre
les paroles du vieux Syméon dans le temple. Il en est toujours de même
aujourd’hui car chacun de nous nous sommes marqués par le péché qui est un
refus de Dieu. Le but du mystère de Noël est précisément de nous libérer de
l’esclavage et du fardeau de nos péchés pour nous faire participer à la
création nouvelle voulue par Dieu et commencée dans la nuit de Noël. Jean nous
dit que tout a été créé, que tout continue d’être créé par et dans le Verbe de
Dieu. A Noël ce même Verbe inaugure le Royaume de Dieu, donc la nouvelle
création. La Parole de Dieu est plénitude de grâce et de vérité. Nous qui
sommes nés de Dieu par le baptême, nous devons incarner dans nos vies la grâce
et la vérité du Verbe. Cela implique un combat spirituel car nous vivons dans
une société dont les valeurs sont bien souvent opposées au message évangélique.
Au lieu de la grâce, on nous encourage au chacun pour soi, au profit illimité
et à l’égoïsme dans la grande concurrence de la mondialisation. La dureté de
cœur et l’indifférence sont présentées comme des vertus pour survivre. Rien ne
doit être gratuit, tout doit se payer, même une réalité aussi vitale que l’eau.
Au lieu de la vérité, on nous habitue à tordre le sens des mots et à manipuler
les esprits, la tristement célèbre novlangue.
Nous sommes matraqués par toutes sortes de propagandes publicitaires,
idéologiques et politiques. Comment retrouver la grâce et la vérité du Verbe
dans un monde dominé par des structures de péché ? Saint Paul nous le dit
dans sa lettre aux Romains :
Ne prenez pas pour modèle le monde présent,
mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner
quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui
plaire, ce qui est parfait.
Le Verbe
de Dieu a choisi comme lieu de son incarnation la crèche de Bethléem. Marie
donne naissance à son fils Jésus dans la pauvreté. Le Verbe fait chair se
manifeste donc à nous dans une double faiblesse : celle d’un nouveau-né
qui ne parle pas encore et qui a besoin de la protection de ses parents, celle
du dénuement de sa naissance. Le chrétien épris de la Parole de Dieu a besoin
avant toutes choses de la vertu d’humilité pour refléter dans sa vie la grâce
et la vérité du Verbe. Etre humble, c’est être toujours vrai et miséricordieux.
En ce sens l’humilité de l’incarnation et celle du disciple de Jésus n’est pas
une faiblesse mais elle est au contraire le signe de la force spirituelle.
C’est cette douce force qui nous permet de démasquer les mensonges de ce monde
et de résister aux tentations qu’il nous présente pour détourner notre cœur de
l’essentiel : la présence en nous et dans l’Eglise du Verbe, plein de
grâce et de vérité. Et cette force ne peut se recevoir que dans une vie de
prière fidèle et intense, que par la grâce des sacrements, en particulier
l’eucharistie et le sacrement de la réconciliation.
Souvenons-nous
enfin du cri prophétique de Bernanos qui, en 1946, écrivait déjà dans La France contre les robots :
« On ne comprend absolument rien à la
civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration
universelle contre toute espèce de vie intérieure ».
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