dimanche 5 janvier 2025

EPIPHANIE 2025

 

Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui.

Le Seigneur dit à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. (Genèse 12)

Contrairement aux bergers les mages entreprennent un très long voyage pour adorer l’enfant qui vient de naître. Probablement astrologues et savants, c’est l’observation d’une étoile qui les décide à quitter leur patrie pour un lieu qu’ils ne connaissent pas. Dans ses Elévations à Dieu sur tous les mystères Bossuet commente ainsi ce signe de l’étoile : Une étoile qui ne paraissait qu’aux yeux n’était pas capable d’attirer les mages au Roi nouveau-né : il fallait que l’étoile de Jacob, et la lumière du Christ se fut levée dans leur cœur. A la présence du signe qu’il leur donnait au dehors, Dieu les toucha au-dedans par cette inspiration dont Jésus dit : « Nul ne peut venir à moi si mon Père ne l’attire ». L’étoile des mages est donc l’inspiration dans les cœurs.

L’étoile est par conséquent le signe extérieur de la grâce qui agit à l’intérieur. C’est bien la grâce du Christ Sauveur qui est capable de toucher le cœur de ces hommes, totalement étrangers à la foi d’Israël, pour leur faire entreprendre un long voyage vers l’inconnu. Ecoutons à nouveau Bossuet : Pour aller où ? Nous ne le savons pas encore ; nous commençons par quitter notre patrie. Le voyage des mages nous rappelle un autre voyage, un autre départ, celui d’Abram : Le Seigneur dit à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. […] En toi seront bénies toutes les familles de la terre. (Genèse 12) Le lien entre Abram, le père des croyants et les mages païens est déjà présent dans la promesse de Dieu : En toi seront bénies toutes les familles de la terre. L’appel de Dieu à Abram contient déjà cette promesse du salut de Dieu offert à tous les peuples, ces peuples dont les mages sont l’image.

Dans un sermon pour l’Epiphanie Maître Eckhart commente ainsi la question des mages « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? » : Cette naissance éternelle se produit dans l’âme comme elle se produit dans l’éternité… et elle se produit dans l’être et dans le fond de l’âme. Les voyages d’Abram et des mages qui ont entendu l’inspiration divine et y ont été fidèles, ces longs déplacements extérieurs, semés d’embuches et de difficultés, représentent à l’intérieur de l’âme le cheminement de la conversion, de la purification et de la sanctification. Bossuet le dit à sa manière et avec le vocabulaire de son temps : Chrétiens, qui que vous soyez… peut-être qu’à ce moment l’étoile va se lever dans votre cœur ; allez, sortez de votre patrie, ou plutôt sortez du lieu de votre bannissement que vous prenez pour votre patrie, parce que c’est dans cette corruption que vous avez pris naissance. Dès le ventre de votre mère, accoutumé à la vie des sens, passez à une autre religion, apprenez à connaître Jérusalem, et la crèche de votre Sauveur, et le pain qu’il vous prépare à Bethléem.

Dans son sermon pour l’Epiphanie Maître Eckhart décrit cet itinéraire de l’âme, cette naissance, comme un mouvement qui va de l’extérieur vers l’intérieur, de l’activité humaine vers la docilité à la grâce divine : Rassemble toutes tes puissances, tous tes sens, toute ton intelligence, toute ta mémoire : retourne dans le fond, là où se tient caché ton trésor, à l’intérieur. Pour que cela puisse se produire, échappe à toutes opérations, et pénètre dans l’ignorance pour que tu puisses le trouver… quand l’homme doit opérer une opération intérieure, il doit concentrer à l’intérieur toutes les puissances dans un coin de son âme et se cacher de toutes les images et formes… il faut être dans le calme et le silence pour que cette parole puisse être entendue… Là, on peut l’entendre et on la comprend vraiment dans l’ignorance. Là on ne sait rien, là elle se montre et se manifeste… Il faut parvenir à un savoir transfiguré. Cette ignorance ne doit pas provenir de l’ignorance, au contraire, il faut aller du savoir vers l’ignorance. Nous devons devenir savants avec le savoir divin et notre ignorance sera alors ennoblie et ornée avec le savoir surnaturel. Et dans celui-ci, là où nous nous comportons de façon passive, nous sommes plus parfaits que quand nous agissions.

L’Evangile de l’Epiphanie se conclut avec cette notice géographique : les mages regagnèrent leur pays par un autre chemin. Mais comment ne pas la comprendre aussi spirituellement ? Les mages se sont comportés « de façon passive » pour reprendre les mots de Maître Eckhart : ils se sont laissés guider par une étoile, ils se sont laissés instruire par les grands prêtres. Ils se sont dépouillés de toutes leurs richesses pour les offrir à l’enfant. Et c’est ainsi qu’ils sont revenus dans leur patrie différents et transformés, riches d’un savoir transfiguré, d’un savoir surnaturel, eux qui étaient à la fois savants des astres et ignorants de Dieu. Ils sont revenus comblés de la joie de ceux qui permettent au Sauveur de naître dans leur âme.