6/03/2022
Luc 4,
1-13
Dans
l’introduction que Luc donne à son récit des tentations au désert, il insiste
sur le fait que Jésus est rempli d’Esprit Saint et qu’il vit cette épreuve dans
la communion de l’Esprit. C’est au terme des 40 jours de jeûne de Jésus que le
diable le tente. Il le fait à partir d’un besoin naturel, celui du corps qui a
besoin de se nourrir pour se maintenir en vie et en bonne santé. C’est la faim
du Seigneur qui est donc l’occasion de la première tentation :
Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre
de devenir du pain.
Les 40
jours de Jésus renvoient clairement aux 40 années du peuple hébreu dans le
désert entre la sortie d’Egypte et l’entrée en terre promise. De nombreuses
fois le peuple s’est lamenté auprès de Moïse car il avait faim et soif. Ce sont
les fameux murmures d’Israël qui ont déplu à Dieu, car Il les a considérés
comme un manque de foi de la part du peuple. Dans son livre La foi des démons, Fabrice Hadjadj fait
remarquer qu’à chacune des tentations correspond une demande du Notre
Père : ici il s’agit bien sûr de Donne-nous
aujourd’hui notre pain de ce jour. Jésus refuse d’utiliser son rang de Fils
de Dieu pour se nourrir lui-même alors qu’il éprouve la faim. Il n’hésitera
pas, plus tard, à multiplier les pains pour nourrir les autres, les foules
rassemblées autour de lui. La première tentation est celle de la chair sans
l’Esprit, comme le montre bien la réponse de Jésus empruntée à la Torah.
La
deuxième tentation, elle, ne part pas d’un besoin naturel et légitime de la
chair mais elle flatte la concupiscence humaine qui désire sans aucunes limites
le pouvoir et les richesses :
Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire
de ces royaumes, car cela m’a été remis et je le donne à qui je veux. Toi donc,
si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela.
C’est la
tentation de l’orgueil humain et de la démesure. Cette soif insatiable, que
saint Jean qualifie de désir de la chair, d’avidité des yeux et d’arrogance des
riches (1 Jean 2, 16), est toujours une idolâtrie, un éloignement de
l’adoration de Dieu. C’est l’illusion de l’homme qui pense pouvoir se faire
dieu par lui-même. Saint Paul le dit clairement dans sa lettre aux
Colossiens : l’amour de l’argent est
une forme d’idolâtrie (3, 5). L’homme orgueilleux et concupiscent pense
être tout-puissant par le pouvoir qu’il s’est acquis et par les richesses qu’il
a accumulées. Il oublie que sa puissance est en fait un esclavage du démon. On
n’accumule pas un tel pouvoir ni de telles richesses sans une soumission au
Prince des Ténèbres ni sans exploiter et asservir ses frères en humanité. Tous
les empires humains, dont aucun n’a été éternel, se sont bâtis sur des monceaux
de cadavres et par des guerres sanglantes et destructrices. Jésus n’a que faire
de ces empires-là, Lui qui est l’unique roi de gloire, le seul dont le règne
n’aura pas de fin, lui qui est un roi humble et pauvre, sans armée ni soldats,
et dont la seule puissance est celle de l’amour divin. A ce mirage des royaumes
terrestres s’oppose cette demande du Notre
Père : Que ton règne vienne.
La
troisième tentation est celle de l’Esprit sans la chair, celle de l’abandon aux
anges :
Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas
; car il est écrit : Il donnera pour toi, à ses anges, l’ordre de te garder…
Ici il
s’agit purement et simplement de faire inutilement une démonstration de vanité…
Dans les tentations précédentes il y avait au moins l’avantage d’une
contrepartie : manger, régner sur des royaumes… Ici, rien de tout cela, si
ce n’est donner un spectacle qui en imposera aux foules de Jérusalem. A cette
dernière tentation s’oppose cette demande du Notre Père : Que ta
volonté soit faite. De la même manière que Jésus s’était refusé à utiliser
son pouvoir de Fils de Dieu pour son intérêt personnel, ici il refuse de
considérer son Père comme une personne qui serait à son service pour répondre à
un caprice d’enfant gâté. La relation filiale qui l’unit à son Père ne peut en
aucun cas être utilisée pour donner un spectacle impressionnant ou pour se
rendre célèbre. Jésus n’est ni un comédien ni un politicien. Il n’a rien à
prouver ni rien à vendre. Et encore moins pourrait-il se vendre au diable pour
obtenir le succès et la gloire éphémère qui vient des hommes.
Je
conclue cette méditation en citant à nouveau Fabrice Hadjadj qui fait finement
remarquer le symbolisme des lieux de la tentation :
Les trois lieux, ici où le démon opère
paternellement, ne sont pas des coupe-gorge ou des bouges sordides. Ce sont le
désert, la montagne et le Temple – les trois lieux traditionnels de la
Révélation. On peut en tirer deux enseignements. D’une part, Satan désire
doubler Dieu jusqu’à produire aux mêmes endroits ses propres épiphanies…
D’autre part, là où le fidèle a le plus reçu, il est possible de le perdre davantage.
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