3ème dimanche de Pâques / A
8/05/2011
Luc 24, 13-35 (p. 527)
Parmi les Évangiles de Pâques le récit des disciples d’Emmaüs en saint Luc est unique. Non seulement parce que seul saint Luc en fait le compte-rendu (saint Marc le mentionne en passant), mais en raison des témoins choisis ici par Jésus, trois jours après sa mort. Il s’agit en effet de deux disciples presque anonymes et dont nous ne connaissons l’existence qu’à travers ce récit. C’est une différence de taille avec les manifestations du Ressuscité aux saintes femmes et aux apôtres. Un passage de la première lettre de saint Paul aux Corinthiens nous rappelle cette diversité des témoins du Christ ressuscité :
« Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j'ai moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, et il a été mis au tombeau ;il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures, et il est apparu à Pierre, puis aux Douze ; ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois - la plupart sont encore vivants, et quelques-uns sont morts - ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l'avorton que je suis. »
Le fait que les disciples d’Emmaüs ne soient pas des disciples connus, le fait qu’ils soient de simples disciples sans faire partie du groupe des apôtres, nous les rend immédiatement très proches. Le seul dont nous connaissons le nom, Cléophas, n’est pas dans le calendrier des saints comme Marie-Madeleine, Pierre, Jean, Thomas ou encore Paul. Cette manifestation du Ressuscité à ces deux hommes peut donner lieu à des interprétations très riches et intéressantes. On peut faire, par exemple, une lecture sacramentelle de ce récit en y reconnaissant les deux parties principales de l’eucharistie : la liturgie de la Parole et la fraction du Pain.
Je voudrais en ce dimanche vous proposer deux points de méditation. Le premier concerne notre espérance chrétienne. Le second aborde la présence du Christ dans nos vies.
Les deux disciples quittent Jérusalem, ville sainte devenue pour eux ville maudite : lieu du supplice et de l’échec de leur Maître. C’est trop peu de dire qu’ils sont tout tristes. Ils sont découragés et désespérés. Le premier message de ce récit est paradoxal. Il est parfois bon pour nous de passer par le découragement et le désespoir. Car malgré tout leur amour pour Jésus, leur espérance était encore trop humaine, trop terre à terre, trop politique en un mot : il avait réduit la mission de Jésus et ne l’avait donc pas comprise. Comme si le Fils de Dieu était venu partager notre humanité, souffrir sa Passion et sa mort pour libérer Israël du pouvoir de l’occupant romain ! Quand nous passons nous-aussi par des moments de doute et de découragement, nous avons peut-être à nous poser la question suivante : Mon image de Dieu, ma représentation de Jésus est-elle vraiment chrétienne ? Est-elle fidèle à ce que la Parole de Dieu m’en révèle ? Mon espérance est-elle vraiment chrétienne ? Je vais donner un seul exemple pour illustrer cela. En Europe les chrétiens pourraient en effet être tentés par le découragement en regardant les statistiques : baisse de la pratique dominicale, baisse des vocations sacerdotales et religieuses, indifférence massive de nos contemporains à l’égard de la religion etc. En 1978 le bienheureux Jean-Paul II nous avait proposé un autre chemin que celui des lamentations, il nous avait dit : « N’ayez pas peur ! » En tant que disciples de Celui qui a accepté de passer par la mort de la Croix pour connaître la gloire de la résurrection il serait étrange que nous mettions notre espérance dans des statistiques. Il serait encore plus étrange que nous refusions une certaine forme de mort d’une manière de vivre le christianisme en Europe. Cela n’est certes pas réjouissant, c’est une épreuve pour nous, croyants. Mais si nous avions assez de foi, nous n’aurions pas peur et nous nous rappellerions la parole du Ressuscité à ses deux disciples :
« Vous n'avez donc pas compris ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? »
Ne rêvons plus d’être une majorité influente et puissante. Rêvons seulement d’être de véritables disciples du Christ, si possible toujours plus fidèles à sa Parole et donc toujours plus saints. Pour fonder son Église le Seigneur n’a pas recruté des troupes de propagandistes puissants et riches, mais il a choisi 12 hommes faibles et pauvres. Et c’est à partir de cette minorité apparemment insignifiante que la Parole de Dieu s’est répandue dans le monde entier.
Mon deuxième point de méditation me servira de conclusion et porte sur la présence du Christ dans le récit de Luc et dans nos vies. Mettons en parallèle le début et la fin de cet Évangile. Sur la route tout d’abord : Or, tandis qu'ils parlaient et discutaient, Jésus lui-même s'approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient aveuglés, et ils ne le reconnaissaient pas. Dans l’auberge ensuite : Quand il fut à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Jésus Ressuscité jouerait-il à cache-cache avec nous ? Il se rend présent aux disciples, ils ne le reconnaissent pas. Et quand enfin ils le reconnaissent, il disparaît ! La manière de faire du ressuscité nous rappelle qu’il est le Fils du Dieu caché. Nous ne pouvons pas mettre la main sur Dieu. Il demeure l’insaisissable. Et Jésus l’a fait aussi comprendre à Marie-Madeleine : Cesse de me tenir, je ne suis pas encore monté vers le Père. Va plutôt trouver mes frères pour leur dire que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.
Oui, Jésus Vivant est présent à son Église et à chacun de ses disciples, particulièrement dans la célébration de l’eucharistie, dans la prière et l’annonce de l'évangile. Mais nous ne pouvons jamais le posséder ou le retenir entre nos mains. C’est pour cette raison que nous serons toujours des chercheurs de Dieu. Un croyant qui oublierait cela serait dans l’illusion. Si Dieu se révèle et se cache à la fois, c’est pour faire grandir en nous le désir de la communion avec lui, c’est pour nous éviter d’avoir une espérance seulement humaine et réduite. L’absence apparente de celui que nous aimons peut blesser notre cœur du feu de l’amour divin. C’est ainsi que Dieu peu à peu, si nous sommes fidèles, transforme notre cœur de pierre en un cœur brûlant d’amour comme celui des disciples d’Emmaüs. La vie chrétienne est toujours en même temps une grâce et une épreuve car elle consiste à s’unir à celui qui en passant par la mort est devenu le Vivant.
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