Premier dimanche de Carême / année C
25 février 2007
Luc 4, 1-13 (page 39)
« Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre ». C’est avec cette Parole de Dieu que Jésus résiste à la première tentation du démon dans le désert. En ce premier dimanche de Carême, c’est cette même Parole de Dieu qui me servira de fil conducteur.
Relevons tout d’abord une différence entre la version de Luc et celle de Matthieu. Ce dernier cite intégralement la Parole de Dieu que nous trouvons dans l’Ancien Testament, plus précisément dans le livre du Deutéronome :
« L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » . Luc omet donc la dernière partie.
Si Jésus utilise ce texte du Deutéronome, ce n’est certainement pas par hasard. Pour nous en convaincre il suffit de remettre cette citation dans son contexte plus ample. Ecoutons maintenant cette Parole de Dieu dans le Deutéronome :
« Tu te souviendras de tout le chemin par lequel le Seigneur ton Dieu t’a fait marcher pendant ces quarante ans dans le désert. Il t’a humilié, il t’a mis à l’épreuve pour connaître le fond de ton cœur, pour voir si tu gardais ou non ses commandements. Il t’a humilié et t’a fait connaître la faim, puis il t’a donné à manger la manne : tu ne la connaissais pas, tes pères non plus. Il voulait t’apprendre que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais que tout ce qui sort de la bouche de Dieu est vie pour l’homme » . Il est donc clair que Jésus tenté au désert revit et accomplit l’expérience du peuple hébreu dans le désert, en marche vers la terre promise. En vivant ce Carême, nous sommes, nous aussi, invités à mettre nos pas dans ceux du peuple d’Israël et à la suite de Jésus au désert. Et cela avec cette Parole de Dieu qui nous est donnée comme une lumière sur notre chemin vers Pâques.
« Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre ».
Relevons l’importance de l’adverbe « seulement ». Ce qui signifie que le pain matériel a son importance. Nous sommes corps, esprit et âme et nous avons besoin de nourriture pour notre corps. Vous le savez bien, l’un des aspects essentiels de notre Carême, c’est le partage et la solidarité. C’est à ce partage effectif de nos biens que nous appelle la Parole de Dieu. Le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement nous rappelle en cette année 2007 les 40 ans d’une encyclique de Paul VI, Populorum Progressio, consacrée au développement des peuples. Le pape se faisait alors l’écho des peuples pauvres en écrivant : « Les peuples de la faim interpellent aujourd’hui de façon dramatique les peuples de l’opulence ». S’il existe un sous-développement dans les pays pauvres, il existe dans nos pays développés un sous-développement moral. Paul VI le nomme : « L’avarice est la forme la plus évidente du sous-développement moral ». Pendant notre Carême, comment ne pas réentendre cette Parole de Dieu que nous connaissons tous en saint Jacques ? « Si un frère ou une sœur n’ont pas de vêtement, rien à manger pour aujourd’hui, et vous leur dites : ‘j’espère que tout ira bien pour toi, que tu auras chaud, que tu auras à manger’. Qu’est-ce qu’ils y gagnent tant que vous ne donnez pas à leur corps le nécessaire ? » Une personne qui manque du minimum nécessaire pour vivre humainement et dignement, comment pourra-t-elle faire un chemin spirituel ? Bien des pauvres, il est vrai, ont l’intuition de Dieu. Certains sont même de grands croyants et de grands spirituels. Mais ne confondons pas les cas extraordinaires avec les cas ordinaires, la pauvreté choisie avec la pauvreté subie… Comme le dit le proverbe, ventre affamé n’a point d’oreilles. Une citation de Paul VI me servira de transition vers la seconde partie de mon homélie : « Avoir plus pour les peuples comme pour les personnes n’est donc pas le but dernier. Toute croissance est ambivalente. Nécessaire pour permettre à l’homme d’être plus homme, elle l’enferme comme dans une prison dès lors qu’elle devient le bien suprême qui empêche de regarder au-delà » .
« Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre ». Car l’homme est aussi esprit et âme. Il a besoin pour son développement intégral de la nourriture de l’esprit, la culture, et de la nourriture de l’âme, Dieu lui-même. D’où les deux autres piliers du Carême que sont le jeûne et la prière. Si ventre affamé n’a point d’oreilles, on peut aussi dire que ventre gavé n’a point d’oreilles ! Entre la misère et le gaspillage, le Carême nous redit l’importance d’un équilibre humain et spirituel. Pratiquer le jeûne chrétien, c’est bien sûr s’ouvrir au partage avec la multitude de nos frères qui, de par le monde, subissent la faim. Mais c’est aussi prier Dieu de nous nourrir de sa Parole. C’est nous rendre disponibles à l’écoute de cette Parole. Le partage comme le jeûne, pratiqués dans un esprit de prière, nous arrachent au « matérialisme étouffant », déjà dénoncé par Paul VI en 1967 ! Ces pratiques du Carême nous redisent de manière concrète la primauté de l’être sur l’avoir. Ce qui compte aux yeux de Dieu, ce qui compte pour notre développement intégral ainsi que pour celui de la société, c’et ce que nous sommes : nos qualités de cœur, nos talents, notre sens de l’écoute, de l’accueil, du dialogue et du service etc. Le bonheur authentique ne réside pas dans ce que nous avons, mais dans ce que nous sommes, et dans notre capacité à entrer en relation avec Dieu et avec nos frères. Au début de ce Carême, accueillons donc la mise en garde du pape avec sérieux : « Repliées dans leur égoïsme, les civilisations actuellement florissantes porteraient atteintes à leurs valeurs les plus hautes, en sacrifiant la volonté d’être plus au désir d’avoir davantage ».
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