mardi 25 juin 2024

Solennité des saints apôtres Pierre et Paul

 

Saints Pierre et Paul 2024

Dans son étude consacrée au phénomène de société qu’est devenu le tatouage[1], le père Bertrand Monnier développe une réflexion intéressante sur le charisme propre aux deux apôtres que nous fêtons en ce dimanche :

Dans l’histoire de l’Eglise chrétienne, deux grandes tendances se sont ouvertes dès les premières années du christianisme avec les deux piliers que sont saint Pierre et saint Paul. […] Les deux piliers de l’Eglise chrétienne déploient deux dynamiques complémentaires : une dynamique structurelle (Pierre) et une dynamique missionnaire (Paul). Saint Pierre assure la construction d’une Eglise, avec un héritage bien particulier qui est devenu une tradition… Tout cela est organisé pour accompagner les communautés chrétiennes de manière efficace tant sur le plan matériel que spirituel. Et, conjointement à cela, la dynamique missionnaire de saint Paul a pour but d’annoncer la foi chrétienne à ceux qui ne la connaissent pas encore (ou qui ne la connaissent plus). C’est une dynamique d’aventure et d’ouverture aux autres cultures. […] Saint Pierre et saint Paul se sont querellés à propos de la manière de devenir chrétien. Puisque Jésus était juif, il était nécessaire pour saint Pierre que les païens se convertissent d’abord au judaïsme avant de devenir chrétiens. Mais pour saint Paul, il devait être possible pour les païens de devenir directement chrétiens, sans passer par les pratiques juives. […]  Dans une société où le christianisme est « exculturé », il est très compréhensible que la majorité des pratiquants se retrouvent dans le courant pétrinien. Il est plus rassurant, en effet, dans ce genre de situation, de rester « entre soi » autour de codes et de langages déjà connus. Cependant, cette situation a engendré un grand déséquilibre à la fin du 20ème siècle car le manque d’ouverture sur les autres cultures contemporaines a creusé un écart entre les communautés chrétiennes et les nouveaux courants plus actuels. Ainsi, tout ce qui procède de la culture contemporaine est largement ignoré des communautés chrétiennes. Cet écart culturel est la première et principale cause du déficit de vocations sacerdotales, et le manque de prêtres a élargi plus encore le fossé culturel puisque ces derniers n’ont pas pu faire autrement que d’assurer la mission pétrinienne en priorité afin de répondre aux besoins rituels immédiats.

Les apôtres Pierre et Paul ont donc reçu de Dieu deux charismes différents et complémentaires, tous les deux nécessaires pour que l’Eglise et les chrétiens puissent accomplir leur mission dans le monde d’aujourd’hui, tellement différent de celui de la première Eglise où la grande majorité des citoyens de l’Empire romain étaient religieux, polythéistes ou monothéistes. Quand les deux apôtres exhortent les chrétiens à vivre l’Evangile dans le concret de la vie ils se rejoignent. Et c’est cette harmonie de pensée que je voudrais mettre en valeur en guise d’ouverture. Je vous recommande la méditation du chapitre 12 de la lettre aux Romains, un chef d’œuvre de l’apôtre Paul. En voici un très beau passage que je cite ici de manière développée :

Que votre amour soit sans hypocrisie. Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien. Soyez unis les uns aux autres par l’affection fraternelle, rivalisez de respect les uns pour les autres. Ne ralentissez pas votre élan, restez dans la ferveur de l’Esprit, servez le Seigneur, ayez la joie de l’espérance, tenez bon dans l’épreuve, soyez assidus à la prière. Partagez avec les fidèles qui sont dans le besoin, pratiquez l’hospitalité avec empressement. Bénissez ceux qui vous persécutent ; souhaitez-leur du bien, et non pas du mal. Soyez joyeux avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent. Soyez bien d’accord les uns avec les autres ; n’ayez pas le goût des grandeurs, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble. Ne vous fiez pas à votre propre jugement. Ne rendez à personne le mal pour le mal, appliquez-vous à bien agir aux yeux de tous les hommes. Autant que possible, pour ce qui dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes. Bien-aimés, ne vous faites pas justice vous-mêmes.  […] Mais si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire. […] Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien.

A cette exhortation de Paul répond de manière parfaite celle de Pierre dans sa première lettre :

Vous tous, enfin, vivez en parfait accord, dans la sympathie, l’amour fraternel, la compassion et l’esprit d’humilité. Ne rendez pas le mal pour le mal, ni l’insulte pour l’insulte ; au contraire, invoquez sur les autres la bénédiction, car c’est à cela que vous avez été appelés, afin de recevoir en héritage cette bénédiction. […] Honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ. Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous ; mais faites-le avec douceur et respect. Ayez une conscience droite, afin que vos adversaires soient pris de honte sur le point même où ils disent du mal de vous pour la bonne conduite que vous avez dans le Christ. (chapitre 3)



[1] Dieu est-il tatoué ? (2024)

mardi 11 juin 2024

10ème dimanche du temps ordinaire / année B

 

9/06/2024

Marc 3, 20-35

Après les solennités de la Sainte Trinité et du Saint Sacrement nous reprenons le rythme des dimanches du temps ordinaire avec la lecture de l’Evangile selon saint Marc en cette année liturgique B. Nous sommes encore dans les premiers chapitres de cet Evangile, au chapitre troisième. Jésus est entouré par la foule venue l’écouter. Comme assailli par une multitude de personnes, si bien qu’il n’était même pas possible de manger, précise l’évangéliste. Jésus attire donc à lui les foules et sa vie devient en quelque sorte entièrement publique. Plus de temps ni d’espace pour soi, si ce n’est de nuit, à l’aube pour la prière. On peut donc parler d’un succès de la prédication du Seigneur au commencement de sa vie publique. Mais ce succès inquiète et interroge. D’abord les siens, le gens de chez lui, qui n’hésitent pas à le juger sévèrement : Il a perdu la tête. Manière élégante de dire « il est devenu fou ». Nul n’est prophète dans son pays et encore moins dans sa famille. A la fin de notre page évangélique ce sont les membres de sa propre famille qui viennent le chercher pour le ramener à une vie plus calme et conforme à la raison. Entre Jésus et sa famille la foule des auditeurs fait en quelque sorte écran. Jésus échappe aux siens au profit de tous ces inconnus qui viennent l’écouter. C’est l’occasion pour lui de rappeler que les liens du sang n’ont pas d’importance à ses yeux et que la famille des enfants de Dieu qu’il vient rassembler est ouverte à tous pourvu que l’on cherche à faire la volonté du Père dans sa vie. Saint Jean traduira cet enseignement du Christ dans ces versets de son magnifique prologue : Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu.

Alors que sa famille tente de le ramener à la raison, les scribes quant à eux, venus spécialement de Jérusalem, l’accusent de connivence avec le démon ! Il est possédé par un esprit impur. De fou voilà que Jésus devient un possédé ! Succès auprès de foules, incompréhension et échec total auprès des siens et des spécialistes de la religion : le contraste est saisissant. L’accusation gravissime des scribes rappelle la voix du serpent de la Genèse accusant Dieu de mensonge et de tromperie : Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. Le succès de Jésus auprès des foules de Galilée inquiète les autorités de Jérusalem. Et c’est probablement la jalousie et l’envie qui les incitent à cette attaque frontale : traiter de démoniaque celui qui est envoyé par Dieu. Si Jésus continue dans cette voie, ils risquent bien de perdre et leur pouvoir et leur position. Jésus discerne dans cette tactique pour le discréditer un blasphème contre l’Esprit Saint. Face à l’évidence du bien qu’il est lui-même et qu’il fait au nom de Dieu, comment est-il possible de l’accuser de connivence avec les démons ? Il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Les scribes se sont aveuglés volontairement, et c’est là précisément le péché qui ne peut pas être pardonné. Ils sont ces guides aveugles que Jésus apostrophe en Matthieu 23. Peut-être que leur aveuglement vient du fait qu’ils se soucient davantage de préserver leur place et leur autorité que de rechercher la volonté de Dieu et de l’accomplir dans leur vie. Leur aveuglement sur la personne de Jésus et son œuvre provient de leur manque de communion réelle avec Dieu, celui qu’ils prétendent servir et défendre. Au lieu de rechercher le Royaume de Dieu et sa justice pour eux-mêmes, ils se sont institués en inquisiteurs, devenant une espèce de police religieuse qui, à force de vouloir débusquer des hérésies, en vient à blasphémer contre l’Esprit Saint ! Jésus, lui, ne cesse de nous appeler à la conversion du cœur. Ne perdons pas notre temps et notre énergie à épier et à juger la conduite des autres. Soyons vraiment spirituels et comprenons que le Royaume de Dieu est au-dedans de nous. 

dimanche 2 juin 2024

SAINT SACREMENT 2024

 


Prenez, ceci est mon corps ; Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. (Marc 14)

Le sang du Christ fait bien davantage, car le Christ, poussé par l’Esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans défaut ; son sang purifiera donc notre conscience des actes qui mènent à la mort, pour que nous puissions rendre un culte au Dieu vivant. (Hébreux 9)

Les lectures bibliques que nous venons d’écouter en cette solennité du Saint Sacrement de l’eucharistie mentionnent la réalité de l’Alliance entre Dieu et nous. Dans cette Alliance c’est toujours Dieu qui est premier, qui prend l’initiative, qui appelle et invite, qui se donne. La messe ou l’eucharistie est le sacrement de l’Alliance nouvelle et éternelle instituée par le Christ médiateur d’une alliance nouvelle, d’un testament nouveau. C’est toujours l’amour du Christ à jamais vivant qui appelle et rassemble les chrétiens chaque dimanche pour la célébration du Saint Sacrement de l’eucharistie. Dans la deuxième lecture les fruits spirituels de l’offrande que Jésus fait de sa personne et de sa vie sont présentés en termes de libération et de purification :

De cette manière, il a obtenu une libération définitive.

Son sang purifiera donc notre conscience des actes qui mènent à la mort, pour que nous puissions rendre un culte au Dieu vivant.

En tant que sacrement de l’Alliance nouvelle l’eucharistie nous sanctifie et nous libère en nous donnant accès au salut de Dieu par le Christ dans l’Esprit. L’eucharistie est le sacrement de la communion non seulement avec Dieu par le Christ mais aussi de la communion entre nous dans l’Eglise. Le Saint Sacrement est le sacrement de l’unité qui fait mémoire de la personne du Christ donnée pour la multitude. Dans la célébration de l’eucharistie les vivants sont unis aux défunts, les hommes et femmes de ce temps aux générations qui nous ont précédées depuis l’aube des temps. L’eucharistie est bien le sacrement universel qui abolit les frontières de l’espace et du temps. La communion au Christ mort et ressuscité pour nous à travers les espèces du pain et du vin consacrés nous arrache à nos particularismes pour nous hisser au niveau de l’amour même de Dieu. Ce que saint Paul affirme de la grâce du baptême se vérifie aussi dans chaque célébration eucharistique vécue dans la foi et selon l’intention de l’Eglise : En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus.

Si l’eucharistie est d’abord le signe de l’amour de Dieu qui nous précède et nous appelle, elle suscite toujours notre réponse libre de croyants qui, ensemble, rendent grâce à Dieu pour tous ses bienfaits et en premier lieu pour la personne de Jésus. Le Saint Sacrement est une école de gratitude pour Dieu et une école de charité universelle pour nos frères en humanité. En guise d’ouverture finale je vous partage ces paroles lumineuses de Maurice Zundel sur le mystère que nous célébrons en ce dimanche du Saint-Sacrement : Vivre la messe, c’est aller toujours plus avant, s’enfoncer dans ce silence où l’on entend les choses essentielles, où l’on rencontre au fond de son cœur le visage du Seigneur, en même temps que l’on sent toute l’humanité, que toute l’histoire, tout l’univers est là rassemblé et qu’il attend de recevoir par nous toute la lumière de l’amour… Nous voulons accomplir un acte enraciné dans la vie, qui nous transforme en nous mettant au service de l’humanité. On ne peut vivre la messe sans emporter avec soi le désir de transfigurer la vie, de la rendre plus belle et les autres plus heureux… Nous sommes à la messe simplement pour nous charger de Dieu afin de le donner aux autres… C’est dans la mesure où nous serons pour eux un sourire et une joie qu’ils croiront que le christianisme est autre chose qu’une mythologie, qu’un tissu de superstitions et que vraiment il est enraciné dans la vie. J’ajouterai : comme le pain et le vin sont enracinés dans notre vie humaine, fruits de la terre et du travail des hommes.