7ème dimanche du TO/A
20/02/2011
Matthieu 5, 38-48
Nous continuons en ce dimanche notre méditation du sermon sur la montagne en saint Matthieu. Et nous parvenons véritablement au sommet de cet enseignement par lequel Jésus mène la loi de Moïse à sa perfection. La fin de notre Evangile nous dit bien à quel point nous avons ici un enseignement divin, la subtance même du message évangélique : « Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ». Jamais Jésus n’aura poussé aussi loin les exigences de l’amour que dans cet Evangile. Et il le fait à propos de deux réalités : le refus de la vengeance et l’amour des ennemis. La perfection chrétienne consistant justement à l’écouter et à le suivre dans ces domaines de notre vie. Accueillons-donc cette Parole de Dieu, essayons de la comprendre, et surtout ne voyons pas en elle une utopie réservée à quelques idéalistes vivant sur une autre planète que la notre... Penser cela reviendrait à dire que la sainteté c’est pour les autres, et que Jésus nous demanderait ici des attitudes irréalisables dans le concret de nos existences humaines.
Le Seigneur part d’un verset de l’Ancien Testament devenu depuis un dicton de notre langue francaise : « Oeil pour oeil, dent pour dent ». Ce précepte de la Loi de Moïse, malgré toute son imperfection, était en fait un progrès si nous le remettons dans le contexte de la révélation biblique. Souvenez-vous des pages qui suivent, dans le livre de la Genèse, le récit de la chute originelle et qui aboutissent au déluge. Ces pages nous montrent comment le mal n’a cessé d´étendre son emprise dans le coeur des hommes. Et parmi les descendants de Caïn, le premier meurtrier, il y a un certain Lamek, le premier polygame. Au chapitre 4 nous trouvons le terrible discours que cet homme adresse à ses deux femmes : « J’ai tué un homme pour une blessure, un garcon pour une égratignure. Car si Caïn est vengé 7 fois, Lamek le sera 77 fois ». Et c’est en écho à cette apologie de la vengeance et de la violence que le Seigneur dira à Pierre qu’il faut pardonner jusqu´à 77 fois 7 fois, c’est-à-dire sans aucune limite. Remise dans ce contexte la loi du talion essaie de limiter la vengeance à ce qui semble juste. Elle ne supprime pas la violence mais se contente de la modérer. Elle est à la base de ce que nous connaissons sous le nom de légitime défense. Le dépassement de cette loi par Jésus va justement remettre en cause le principe de la légitime défense des personnes et c’est ce qui nous choque le plus, tellement ce principe nous semble juste du point de vue moral. « Je vous dis de ne pas riposter au méchant ». Robert Pirault donne une interprétation intéressante de ce commandement qui interdit la vengeance : « Ne résistez pas au mal en imitant le méchant ». Et c’est bien ainsi que saint Paul a compris cette parole du Seigneur. Dans sa lettre aux Romains il enseigne au chrétien : « Tu ne te laisseras pas vaincre par le mal, mais tu vaincras le mal par le bien ». Jésus ne nous demande pas d’être indifférents au mal ou encore d’aimer souffrir. Il nous interdit d’utiliser la violence (qui est un mal) pour éliminer le mal. Se venger implique que nous prenions les mêmes armes que celui qui nous a fait du mal, et nous entrons ainsi dans une spirale de violence sans fin. C’est ce cercle vicieux de la violence entre l’agresseur et l’agressé que Jésus veut rompre parmi ses disciples et à travers eux dans l’humanité nouvelle. Alors nous comprenons mieux la portée de ce qui suit : « Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre ». Marie Balmary a fait un commentaire éclairant de ce passage : « Le masochisme c’est présenter la même joue à celui qui frappe, pour qu’il recommence. Alors que Jésus nous demande de présenter une autre joue à celui qui frappe pour qu’il s’éveille ». Le violent est enfermé dans une tactique de la violence, et le fait de ne pas trouver de réponse violente en face de lui peut le déstabiliser, et ainsi éveiller sa conscience endormie par les mauvaises habitudes. En reprenant saint Thomas d’Aquin, Jacques Maritain fait remarquer qu’il existe deux sortes de courages : le courage à attaquer et le courage à supporter, auxquels correspondent deux sortes de forces, la force qui frappe et la force qui supporte. Pour Maritain « la croix est le signe transcendant des moyens qui relèvent de la force qui supporte, ou du courage à souffrir ». « Ne pas résister au mal en imitant le méchant » n’est donc pas chez le chrétien le signe d’une faiblesse mais au contraire d’une force supérieure qui a son origine en Dieu. Jésus lui-même n’a pas appliqué à la lettre son enseignement sur « tendre l’autre joue » mais il nous en a montré l’esprit lors de son procès. Au soldat qui vient de le frapper il ne tend pas l’autre joue, il se contente de l’interroger : « Si j’ai mal parlé, montre où est le mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » La non-violence de Jésus ne signifie pas qu’il accepte l’injustice, bien au contraire.
« Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes ». J’espère que nous avons la grâce de ne pas avoir d’ennemis. Mais si cela devait nous arriver nous voilà prévenus sur la bonne attitude à adopter. Jésus motive l’amour des ennemis en nous demandant de regarder le Père et son action en faveur des hommes. Simone Weil, la philosophe juive, évoque « la perfection du Père dont le soleil et la pluie sont aveugles au crime et à la vertu ». L’attitude que le Seigneur attend ici de nous est surnaturelle. Elle fait violence à notre nature humaine marquée par le péché. Le chrétien c’est celui qui, à la suite de Jésus et en communion avec lui, imite le Père et veut lui ressembler en toutes choses, le chrétien est le fils de Dieu. La mention d’une récompense pose cependant problème et elle demande à être bien comprise. Le motif de l’amour des ennemis se trouve dans l’attitude même de Dieu qui est Père pour tous. Dieu, c’est évident, n’agit pas par crainte d’une punition ou en vue d’une récompense. Il agit selon son être profond, selon sa bonté, sa miséricorde, sa justice et sa sainteté. Avoir une intention pure, c’est agir à la manière de Dieu. Si nous avons cette grâce de pardonner à nos ennemis, de prier pour eux et de les aimer, nous ne le faisons pas pour une récompense ou un salaire. Si nous avons une relation commerciale avec Dieu, du type donnant-donnant, alors notre intention est impure. Alors de quelle récompense s’agit-il ici ? C’est la récompense du chrétien : elle consiste dans la joie de faire le bien, dans le bien lui-même que nous recherchons, et dans la communion plus profonde avec Dieu que nous pouvons alors vivre. Notre récompense c’est le bien lui-même qui nous rend de plus en plus semblables à Dieu notre Père. C’est à saint Jean Bosco que je laisserai le mot de la fin : « J’ai reconnu qu’il n’y avait rien de meilleur que d’être joyeux et de faire du bien dans sa vie ».
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