20/07/2025
Luc 10, 38-42
Dans l’Evangile de Jésus chez
Marthe et Marie saint Luc nous peint un petit tableau particulièrement vivant.
On imagine aisément la scène. Marthe, voulant offrir un excellent repas à son
hôte de marque, ne cesse de courir entre la cuisine et la salle à manger, accaparée
par les multiples occupations du service. Sa sœur, Marie, immobile, se
tient auprès de Jésus et écoute sa parole. L’une est debout, en mouvement, et
veut nourrir Jésus, l’autre est assise, calme, et veut se nourrir de la parole
de Jésus. Il ne s’agit pas tant d’opposer les deux sœurs que de réfléchir à ce
que signifie l’hospitalité, accueillir une personne lors d’un repas. Pourquoi
le Seigneur peut-il dire que Marie a choisi la meilleure part ?
Accueillir chez soi une personne
à l’occasion d’un repas, c’est toujours bien plus que donner à manger et à
boire. Dans notre humanité le repas n’a pas seulement une fonction organique,
redonner force et énergie au corps qui réclame son carburant. Le repas a une
fonction sociale : il est l’occasion d’établir (ou pas) des liens, des
relations. Il permet des échanges à travers les conversations des uns avec les
autres. La qualité de la nourriture proposée est une chose, la qualité des
relations qu’un repas permet en est une autre. En témoignent deux versets du
livre des Proverbes :
Mieux vaut un plat de légumes
servi avec amour que du veau gras et de la haine. (15, 17)
Mieux vaut du pain sec, et la
paix, qu’une salle de banquet pleine de discorde. (17, 1)
Marie a choisi la meilleure part
parce que son accueil de Jésus se fait attention à ce qu’il est, écoute de sa
parole. Je peux bien participer à un banquet succulent, mais si je suis laissé
de côté, ignoré, ce banquet deviendra pour moi un supplice et je n’aurais
qu’une envie, c’est qu’il se termine au plus vite. Nous avons tous vécu cette
situation pénible. L’art du repas pour les humains, c’est essentiellement l’art
de la relation et de l’échange. L’hôte n’est pas seulement celui à qui on veut
offrir des mets succulents, il est surtout celui de qui on peut recevoir. Dans
un repas il ne s’agit pas seulement de donner, mais de se rendre disponible
pour recevoir la richesse de l’autre. C’est l’attitude de Marie. En recevant la
parole de Jésus, en l’écoutant, elle lui fait le don de sa disponibilité et de
son ouverture.
La première lecture nous montre
que Dieu est présent dans nos repas, et ce n’est pas un hasard si Jésus a
choisi la forme d’un repas pour le sacrement de l’eucharistie. Même si nous
n’avons pas la possibilité comme Marthe et Marie d’accueillir à nos tables le
Jésus de chair, la lettre aux Hébreux nous fait comprendre que l’hospitalité
donnée en particulier à des inconnus peut être une véritable visite de Dieu,
une parole de Dieu qui nous est adressée :
Que demeure l’amour fraternel !
N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de
recevoir chez eux des anges.
A l’histoire d’Abraham et de Sara
dans la Genèse correspond un beau mythe dans les Métamorphoses du poète
latin Ovide. Au livre VIII Ovide nous raconte l’histoire de Philémon et de
Baucis, un vieux couple, humble et pauvre, qui accueillent chez eux, sans le
savoir, Jupiter et Mercure, se promenant incognito sur terre pour se faire une
idée de la moralité des mortels. Ils furent déçus car « dans mille maisons
ils se présentèrent, demandant un endroit où se reposer ; dans mille
maisons on ferma les verrous ». Seul un pauvre couple de vieillards les
accueille. Et Ovide de noter que, pendant la préparation de l’humble repas,
Philémon et Baucis « charment par leurs entretiens les instants qui
séparent encore leurs hôtes du repas et s’efforcent de leur épargner l’ennui de
l’attente ». Après avoir décrit la simplicité du menu offert aux visiteurs,
le poète écrit : A tout cela s’ajoute ce qui vaut mieux encore, des
visages bienveillants et un accueil qui ne sent ni l’indifférence ni la
pauvreté. Le récit s’achève par la punition des voisins qui ont refusé
d’accueillir chez eux les divins voyageurs. Tandis que leurs belles maisons
sont englouties par les flots, la maison de Philémon et Baucis, « cette
vieille cabane, trop petite même pour ses deux maitres, se change en un
temple ». Cette belle histoire célèbre l’hospitalité comme une vertu
divine. A l’instar du récit de Marthe et Marie, elle nous enseigne comment
recevoir nos hôtes avec des visages bienveillants, pratiquant un accueil qui ne
sent ni l’indifférence ni la pauvreté, même si le repas est simple et frugal,
dans le don essentiel de l’écoute. L’attitude de Marie qui a choisi la
meilleure part lors d’un repas terrestre n’est-elle pas celle que nous sommes
invités à faire notre lors du repas de l’eucharistie ?