lundi 30 juin 2008

SAINT PIERRE ET SAINT PAUL

Solennité des saints Pierre et Paul
29 juin 08
Matthieu 16, 13-19 (p.1361)
Année Saint Paul
Depuis hier nous sommes entrés avec toute l’Eglise dans une année jubilaire consacrée à l’apôtre saint Paul. Cette année « Saint Paul » s’achèvera le 29 juin 2009. Il est providentiel que la solennité des apôtres Pierre et Paul tombe cette année un dimanche. Aussi permettez-moi de délaisser Pierre au profit de Paul. Les historiens situent la date de sa naissance entre l’an 7 et 10 de notre ère, d’où l’année jubilaire en son honneur. Pour vous parler du grand apôtre des Nations, je m’inspirerai largement d’un illustre prédicateur du 17ème siècle, Bossuet, et du panégyrique qu’il donna en l’honneur de l’Apôtre en 1657 à l’Hôpital général de Paris.
Les panégyriques comme les sermons de Bossuet suivent souvent un déroulement identique : une introduction, trois parties, et une exhortation finale. Bossuet est bien conscient de la difficulté de sa tâche : Paul est véritablement un monument de l’histoire du christianisme et « un ange même ne suffirait pas pour louer cet homme du troisième ciel. » Bossuet ne choisit pas de mettre en avant ce qui est extraordinaire dans la vie et les œuvres de saint Paul. Mais il s’attache à montrer au contraire la faiblesse de l’Apôtre, le citant dans sa deuxième lettre aux Corinthiens : « Je ne me plais que dans mes faiblesses : car lorsque je me sens faible, c’est alors que je suis puissant. » La grandeur du converti du chemin de Damas provient précisément de son identification profonde et permanente avec un Messie humilié, « scandale pour les Juifs, folie pour les païens. » Et Paul ne manque pas d’humilité lorsqu’il ose affirmer : « J’ai été crucifié avec le Christ, et si maintenant je vis, ce n’est plus moi qui vis : le Christ vit en moi. » Voilà le secret de la vie et de l’apostolat de Paul, pur miroir de l’Evangile qu’il n’a cessé de proclamer depuis sa rencontre avec le Ressuscité jusqu’au don suprême de sa vie à Rome. Si, dans ses lettres, l’Apôtre cultive les paradoxes au risque de choquer et de déranger, c’est parce qu’il est lui-même un vivant paradoxe : persécuteur transformé en prédicateur, pharisien vivant pour la justice de la Loi devenu témoin de la grâce et de la miséricorde du Père en Jésus. Paul est un être paradoxal tout simplement parce qu’il est chrétien : « Je suis puissant parce que je suis faible. » C’est cette faiblesse de l’Apôtre que Bossuet se propose de montrer dans trois domaines de son apostolat : la prédication, les combats et le gouvernement ecclésiastique. Ecoutons-le : « Tant il est vrai que dans toutes choses Saint Paul est puissant en ce qu’il est faible, puisqu’il met la force de persuader dans la simplicité du discours, puisqu’il n’espère vaincre qu’en souffrant, puisqu’il fonde sur sa servitude toute l’autorité de son ministère ! »
Paul est faible dans sa prédication parce qu’il refuse de couvrir la vérité de l’Evangile par de belles formules. Ou alors quand son style est recherché (n’oublions pas que c’est un homme formé et cultivé) c’est toujours secondaire, de l’ordre du moyen. Ce qui est premier c’est bien la vérité de l’Evangile annoncée par l’Apôtre dans toute sa crudité déroutante : « Nous prêchons une sagesse cachée ; nous prêchons un Dieu crucifié. » La prédication de Paul s’inscrit bien dans la logique du mystère de l’incarnation, mystère de l’abaissement et de la faiblesse de Dieu. Et simultanément révélation de l’Amour trinitaire.
Mais la prédication de Paul ne serait rien sans ses combats. Son Maître, le Christ, n’avait-il pas annoncé : « Dès que j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » Bossuet dans le second point de son panégyrique aborde d’une manière remarquable le paradoxe chrétien : « Les paroles toutes divines de Jésus, qui devaient lui attirer les respects des hommes, le font attacher à un bois infâme ; et l’ignominie de ce bois, qui devait couvrir ses disciples d’une confusion éternelle, fait adorer par tout l’univers les vérités de son Evangile. N’est-ce pas pour nous faire entendre que sa croix, et non ses paroles, devait émouvoir les cœurs endurcis, et que sa force de persuader était en son sang répandu et dans ses cruelles blessures ? » Paul a résumé ses souffrances et ses combats pour la croissance du corps du Christ en une formule lapidaire : « Je meurs un peu chaque jour. » Sans oublier ce passage de la lettre aux Colossiens : « Je complète dans ma chair ce qui manque encore aux épreuves du Christ pour son corps qui est l’Eglise. » Bref c’est la faiblesse de l’Apôtre dans ses combats qui a rendu efficace sa prédication, attirant sur les auditeurs la grâce de l’Esprit Saint, seul capable de toucher les cœurs et de les remuer.
Enfin c’est dans le gouvernement des Eglises que Paul a le plus souffert. Bossuet s’adresse à l’Apôtre dans son troisième point : « Dans vos persécutions, vous souffriez par vos ennemis, ici vous souffrez par vos frères, dont tous les besoins et tous les périls ne vous laissent pas respirer. » Nous pourrions nous étonner de voir Bossuet associer le gouvernement des communautés à la faiblesse de Paul. N’oublions pas que le gouvernement dans l’Eglise ne se calque pas sur le gouvernement des chefs d’Etat… Ecoutons pour finir les paroles toutes imprégnées de l’Evangile que Bossuet utilise pour dépeindre le gouvernement des Eglises par Saint Paul :
« L’Apôtre se souvient qu’il est le disciple de Celui qui a dit dans son Evangile qu’il n’est pas venu pour être servi, mais afin de servir lui-même ; c’est pourquoi il ne gouverne pas les fidèles en leur faisant supporter le joug d’une autorité superbe et impérieuse, mais il les gouverne par la charité, en se faisant infirme avec eux, ‘et pour gagner ceux dont la conscience n’est pas assurée, je me fais faible parmi les faibles’, et se rendant serviteur de tous :’je me suis fait l’esclave de tous pour gagner cette multitude’. »
Amen

dimanche 22 juin 2008

12ème dimanche du temps ordinaire

12ème dimanche du TO / A
22 juin 08
Matthieu 10, 26-33 (page 1107)
(Messe 17, pour les chrétiens persécutés, page 945)
Dimanche dernier nous avons entendu le récit de l’appel des Douze et de leur envoi en mission. Tout le chapitre 10 de l’Evangile selon saint Matthieu est consacré à la mission des apôtres. Jésus appelle ces hommes. Mais il ne les laisse pas abandonnés à eux-mêmes. Il leur donne des consignes, une espèce de feuille de route qui leur servira pour l’exercice de leur mission. Dimanche dernier, nous avons pu méditer le commencement de cette feuille de route. Au cœur de ce commencement, il y avait une proclamation : « Sur votre route, proclamez que le Royaume des cieux est tout proche. » La liturgie nous fait faire un bond de 18 versets en avant dans le discours missionnaire du Seigneur. Dans cette partie de son discours, Jésus annonce très clairement que ses apôtres auront à souffrir des persécutions, qu’ils seront « comme des brebis au milieu des loups » et qu’ils seront haïs de tous à cause du Nom du Seigneur. Jésus n’est pas un gourou de secte qui promet le bonheur parfait et immédiat à ses disciples ou qui prêche un épanouissement personnel par l’évasion de notre monde… Jésus est vrai, il est honnête envers ces hommes qu’il appelle à sa suite. Il ne leur cache pas que la Croix fera partie d’une manière ou d’une autre de leur itinéraire apostolique. Juste avant le début de l’Evangile de ce dimanche, le Seigneur nous livre la clef de compréhension de tout cela : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son seigneur… S’ils ont traité de démon le maître de maison, ce sera pire encore pour les gens de sa maison. » Tout chrétien, et pas seulement les successeurs de apôtres dans la mission de l’Eglise, fait à un moment ou à un autre l’expérience de l’échec. Tout chrétien souffre à cause du refus de l’Evangile. Combien de parents ou de grands-parents sont-ils dans la peine parce que les plus jeunes semblent avoir tout abandonné au niveau religieux ? Il n’y a rien d’étonnant à cela. Si Jésus a été rejeté et abandonné par ses disciples, c’est bien parce que Dieu ne s’impose jamais à notre liberté humaine : il nous propose d’entrer en relation d’Alliance avec Lui. Le chrétien comme l’apôtre devra toujours comprendre cela : son message s’adresse à une liberté humaine. Etre apôtre, c’est donc consentir d’avance à ce que ce message puisse être rejeté ou oublié. Ce qui ne signifie pas bien sûr que nous ayons à être indifférents lorsque l’Evangile n’est pas accueilli ! Le défi pour nous comme pour les apôtres, c’est de ne pas baisser les bras, de ne pas nous décourager. Même s’il nous semble que nous ne pouvons plus rien faire, nous avons toujours la possibilité de la prière, la prière d’intercession pour que les cœurs finissent un jour ou l’autre par s’ouvrir à la grâce. Mieux vaut prier que se culpabiliser ou remuer en soi des sentiments négatifs sur la déchristianisation de notre société et particulièrement des jeunes générations. « Celui qui restera ferme jusqu’à la fin, sera sauvé », nous dit Jésus. Plus que jamais nous avons besoin de la vertu d’espérance pour avancer au milieu des difficultés qui sont les nôtres. Difficultés somme toute relatives quand nous pensons à nos frères chrétiens qui, en Algérie, en Egypte, en Irak et ailleurs, sont véritablement persécutés à cause de leur foi. Je suis toujours admiratif face à ce témoignage actuel des martyrs qui me rappelle la grande faiblesse de ma propre foi et m’invite à aller de l’avant.
C’est dans ce contexte que nous avons à accueillir la parole du Seigneur : « Ne craignez pas ! » Elle revient trois fois dans l’Evangile de cette liturgie, et c’est cette parole que Jean-Paul II avait choisie pour inaugurer son Pontificat. Nous le savons très bien, la peur paralyse. Alors que la confiance met en marche… Si bien souvent nous n’évangélisons pas ou mal, c’est parce que nous avons peur. Nos frères chrétiens persécutés ont eux de réelles raisons d’avoir peur et ils sont pourtant remplis de courage. En eux se vérifie la promesse du Seigneur dans cette feuille de route apostolique : « Ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous. » Au milieu des persécutions ces frères chrétiens font l’expérience de la présence du Saint Esprit. Nos peurs à nous, en Europe, sont, il faut l’avouer, des peurs imaginaires. Car nous ne risquons pas notre vie pour l’Evangile. Nos peurs ne sont que le reflet de notre peu de foi, de la tiédeur de notre attachement au Christ, et certainement d’une vie de prière trop peu profonde… Nous devons absolument entrer en dialogue avec ceux qui ne partagent pas notre foi et faire avec eux si possible un bout de chemin. Que d’occasions naturelles avons-nous pour évangéliser ? Evangéliser, c’est annoncer la proximité du Royaume de Dieu. Dieu est présent aujourd’hui. Dieu est présent en tout homme. Et cette présence aimante de Dieu donne la paix à laquelle tout cœur humain aspire : « En entrant dans cette maison vous lui souhaiterez la paix. Si la maison en est digne, la paix viendra sur elle ; si elle n’en est pas digne, la paix que vous offrez reviendra sur vous. » Amen.

dimanche 15 juin 2008

11ème dimanche du temps ordinaire

11ème dimanche du temps ordinaire / A
15 juin 08
Matthieu 9,36-10,8 (page 1053)
Saint Matthieu donne un magnifique prologue à l’appel des Douze : « Jésus, voyant les foules, eut pitié d’elles parce qu’elles étaient fatiguées et abattues comme des brebis sans berger. » Nous pouvons penser aux foules de notre époque, et nous pouvons peut-être nous dire que l’humanité n’a pas progressé depuis, et qu’elle a probablement empiré… Que de misère matérielle, humaine, intellectuelle, morale et spirituelle ! Nous pouvons penser à ces immenses mégapoles comme Mexico et Calcutta par exemple et contempler avec le cœur du Seigneur ces foules de notre temps, davantage victimes que responsables de leur misère… Et nous pourrions nous sentir impuissants !
Il est bon pour nous de saisir alors quelle est l’attitude intérieure de Jésus par rapport aux foules de son temps et aux foules de notre temps : Il les prend en pitié. Cette pitié est une conséquence immédiate de son amour divin pour chacune de ses créatures humaines. L’attitude intérieure de Jésus est proposée en modèle aux Apôtres d’hier et d’aujourd’hui. Remarquez bien que le Seigneur ne juge pas, ne condamne pas. Il contemple avec un cœur brisé ceux et celles qui sont fatigués et abattus, certainement parce qu’ils n’ont pas encore trouvé le sens profond de leur existence humaine ici-bas… Jésus n’en reste pas à la contemplation pleine de pitié de ces foules. Il est venu pour les soulager et leur apporter l’espérance qui leur manque. Le même saint Matthieu rapporte un peu plus loin dans son Evangile des paroles du Seigneur qui sont comme le prolongement de sa pitié face aux foules sans berger : « Venez à moi, vous tous qui peinez, qui êtes surchargés, et je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour vos âmes. Car mon joug est aisé et ma charge légère. » Jésus est l’unique Bon Pasteur. Cela ne l’empêche pas de nous demander de prier pour que le Père envoie des ouvriers pour sa moisson. Les Douze sont les premiers parmi ces ouvriers que le Père donne à son Fils pour qu’Il les donne à son tour aux foules qui sont sans berger. La mission de l’Eglise vient du Père par le Fils dans l’Esprit.
Si nous voulons bien comprendre en quoi l’attitude intérieure de Jésus est vraiment une Bonne Nouvelle pour ces foules fatiguées et abattues, nous devons nous reporter au chapitre 3 de l’Evangile de Matthieu et à la prédication de Jean-Baptiste. Il y a bien des thématiques communes entre ce passage et l’Evangile de cette liturgie : l’annonce du Royaume de Dieu et la moisson. Mais la tonalité est vraiment différente. Jean-Baptiste n’a pas pitié des foules qu’il appelle à la conversion. Il les traite même avec dureté : « Race de vipères, qui vous donnera le moyen d’échapper à la Colère qui vient ? » Jean annonce le jugement de Dieu et l’éventualité, si ce n’est de l’enfer, du moins d’un châtiment sévère : « Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être abattu et jeté au feu. » En annonçant la venue de Jésus, Jean utilise l’image de la moisson, celle-là même que nous retrouvons dans notre Evangile de ce jour : « Il tient déjà la pelle en main pour nettoyer son blé ; il amassera le grain dans son grenier et brûlera la paille dans le feu qui ne s’éteint pas. » Dans la prédication de Jean il n’y a guère de place pour la miséricorde. Au contraire le regard que Notre Seigneur porte sur les foules est rempli de miséricorde à leur égard. C’est un regard absolument nouveau par rapport à celui de Jean. Il est d’ailleurs significatif que, dans les consignes qu’il donne aux Apôtres, Jésus n’inclue pas de dimension morale : « Convertissez-vous ou produisez de bons fruits », par exemple. Mais simplement : « Proclamez que le Royaume des Cieux est tout proche. » Ce que le Seigneur demande aux Douze, c’est d’être profondément bons et de faire le bien partout où ils passeront. Et cela gratuitement. Les apôtres transmettront seulement l’amour de Dieu pour les brebis perdues.
D’autres passages de l’Evangile nous montrent un Jésus qui semble plus sévère à l’égard de ses contemporains. Très peu de temps après l’envoi des Douze, il se pose une question : « Comment vais-je dépeindre la présente génération ? » Et il dénonce une attitude valable de son temps comme aujourd’hui : les gens ne sont jamais contents, et quoi que l’on fasse, ils critiquent et dénigrent… « Jean ne mangeait pas, il ne buvait pas, et quand il est venu on a dit : il a un démon. Et puis vient le Fils de l’Homme qui mange et qui boit, et l’on dit : il aime le vin et la bonne chère, c’est un ami des collecteurs de l’impôt et des pécheurs ! Mais on verra que la Sagesse a bien fait les choses. » Jésus nous montre ici que sa miséricorde n’exclue pas sa clairvoyance à propos de nos travers humains. Etre bon ne signifie jamais être bête. Et les Apôtres devront allier dans leur mission la prudence des serpents et la simplicité des colombes… Car certaines brebis égarées peuvent se transformer en loups ! Enfin la pitié du Seigneur, fruit éminent de son divin amour, ne l’empêche pas d’être profondément déçu face à notre lenteur ou à notre réticence quand il ne s’agit pas de notre fermeture à la grâce. Jésus est véritablement homme. Et il y a des moments où il prend le ton de Jean-Baptiste pour répondre à ses interlocuteurs, par exemple aux maîtres de la Loi et aux Pharisiens qui lui réclament un miracle : « Génération mauvaise et adultère ! »
L’envoi en mission des Douze concerne notre Eglise car elle est apostolique et catholique. Et il nous concerne donc de manière personnelle même si nous ne sommes pas appelés à être prêtre ou missionnaire… Prier pour les vocations, c’est nécessaire. Mais cela ne doit pas dispenser chaque baptisé d’être apôtre selon sa vocation et là où Dieu l’a placé. Le défi pour nous aujourd’hui est bien d’être apôtres à la manière de Jésus : prêcher d’abord par nos actes et ensuite par nos paroles un Evangile de salut. C’est-à-dire un Evangile qui n’enferme pas les personnes dans leur misère et leur péché, mais un Evangile de compassion et de bonté dans lequel les foules sans berger de notre temps pourront pressentir la grandeur de l’amour miséricordieux du Père. Qu’en nous voyant vivre et agir, « les brebis égarées » comprennent la logique du Royaume :
« Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné en plus. ».
Amen