dimanche 24 février 2008

Troisième dimanche de Carême

Troisième dimanche de Carême / A
24 février 2008
Jean 4, 5-42 (page 116)
La rencontre entre Jésus et la femme de Samarie est l’une des plus belles pages que nous puissions trouver dans les Evangiles. Le récit qu’en donne saint Jean est d’une grande richesse, ce qui nous permet de méditer ce texte avec une grande variété de points de vue.
L’évangéliste insiste d’emblée sur l’humanité du Seigneur : « Jésus, fatigué par la route, s’était assis là, au bord du puits. Il était environ midi ». Le Seigneur prend un temps de repos après une longue marche ; son corps a besoin de nourriture et de boisson. L’un des points de vue pour comprendre ce récit c’est de se poser la question de l’identité de Jésus. C’est d’ailleurs lui-même qui la pose en disant à la Samaritaine : « Si tu connaissais celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’ ». Et le Seigneur nous donne ici une magnifique leçon d’évangélisation, sur le comment et sur le but. Car cette rencontre avec la femme de Samarie nous décrit tout un parcours d’évangélisation. Regardons le « comment », c’est-à-dire la méthode utilisée par le Christ, ou bien mieux sa pédagogie. Il est très important de relever que la situation est naturelle. Jésus se repose auprès du puits et voilà qu’une femme arrive pour y puiser de l’eau. Ce qui signifie que nous avons à évangéliser dans les circonstances ordinaires de notre vie, là où nous sommes, avec les personnes que la Providence met sur notre chemin. Nous avons à être attentifs aux signes des temps. Jésus n’a jamais rencontré cette femme et la première parole qu’il lui adresse est toute simple. Il a soif et il lui demande donc à boire, il lui demande un service. Il ne lui dit pas : Connais-tu Dieu ? Ou encore : Croie en moi ! Il reconnaît que cette femme a quelque chose à lui apporter, même si ce n’est pour le moment que de l’eau. Si nous voulons vraiment évangéliser, nous devons accepter de recevoir ce que l’autre peut nous donner. Il n’a peut-être pas la foi, mais ce n’est pas une raison pour le juger et penser qu’il ne vaut rien. Tout homme, toute femme porte en lui des richesses. Evangéliser c’est mettre en valeur tout le positif qui est déjà présent chez celui qui ne croit pas encore ou qui a une foi hésitante et faible. C’est donc un échange de personne à personne, excluant le jugement et surtout le complexe de supériorité de la part du croyant. C’est pour cette raison que le Seigneur évangélise en dialoguant avec la femme et en prenant du temps pour cette rencontre. Nous cherchons bien souvent des fruits spectaculaires et rapides. L’évangélisation n’est pas de la propagande ou une campagne de publicité. Tous ceux qui évangélisent savent très bien qu’ils récoltent souvent les fruits de ce que d’autres ont semé avant eux… Le Seigneur nous montre aussi que pour porter la Bonne Nouvelle aux autres, nous devons avoir l’audace de l’amour. En tant que bon Juif, Jésus avait au moins trois bonnes raisons d’éviter la relation avec cette femme : 1°/ C’était une femme ; 2°/ C’était une étrangère, une samaritaine ; 3°/ C’était une pécheresse. Jésus adopte une attitude totalement nouvelle par rapport aux Maîtres religieux de son pays et de son époque. C’est cette attitude qui va provoquer un double étonnement d’abord chez la Samaritaine elle-même et ensuite chez les disciples. La femme sent très bien la liberté intérieure qui habite cet homme assis au bord du puits. Elle n’est pas tombée sur un professionnel de la religion, sur un rabâcheur de la Loi de Dieu, mais sur un homme à la présence rayonnante. Evangéliser c’est toujours ouvrir pour l’autre un espace de liberté où il se sent compris et aimé. La première partie du dialogue est un étonnant quiproquo entre le Seigneur et la femme : Lui, il passe au niveau spirituel ; elle, elle en reste à une compréhension matérielle. C’est à partir du moment où Jésus lui demande d’appeler son mari qu’un premier déclic va se produire : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari, car tu en as eu cinq…. » La réaction de la Samaritaine est immédiate : « Seigneur, je le vois, tu es un prophète ». Elle fait un premier pas vers la foi en Jésus. Nous méditons sur le « comment » de l’évangélisation et nous voyons déjà le but : que cet homme, cette femme puisse connaître Jésus à travers un cheminement qui est toujours unique, parce que chaque personne est unique et a sa propre histoire et ses propres conditionnements. S’ensuit dans la rencontre ce magnifique dialogue sur l’adoration de Dieu, et la conclusion que Jésus lui donne : « Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer ». Le Seigneur non seulement a une attitude nouvelle mais il ouvre le Judaïsme à l’universalité et à l’intériorisation. L’important n’est pas le lieu géographique de l’adoration mais bien les dispositions intérieures de l’adorateur ! Evangéliser comprend toujours une part d’enseignement. Face à cet enseignement nouveau, la femme dit ce qu’elle sait déjà : « Je sais qu’il vient, le Messie… » Encore une fois l’autre n’est pas un nul ou un ignorant, mais une personne avec laquelle j’entre en dialogue. Et à partir des connaissances de la femme, Jésus se révèle comme le Messie : « Moi qui te parle, je le suis ». La femme ne peut garder cette découverte pour elle-même, elle va l’annoncer aux personnes de sa ville ! Signe que son cœur a vraiment été évangélisé en profondeur. Enfin ce sont les samaritains qui, au contact direct de Jésus, donneront le but de tout ce parcours : la profession de foi en Jésus « Sauveur du monde ». Amen.

lundi 18 février 2008

Deuxième dimanche de Carême

2ème dimanche de carême / A
17 février 2008
Matthieu 17, 1-9 (page 70)
Nous venons d’entendre le récit de la Transfiguration du Seigneur dans la version qu’en donne saint Matthieu. Cet événement de la vie du Christ est tellement important que l’Eglise catholique lui consacre une fête particulière le 6 août. La vision telle qu’elle est décrite par l’évangéliste se déroule en trois temps bien distincts.
Le premier temps est à proprement parler celui de la transfiguration de Jésus. Là sur la montagne, à l’écart des foules, « son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière ». Nous pouvons imaginer sans peine la beauté et la splendeur de cette vision. Toute la tradition de l’Eglise a lu les paroles du psaume 44 en pensant au Christ : « Tu es beau, comme aucun des enfants de l’homme ». Et à la fin de cet épisode Jésus utilise le titre de « Fils de l’homme » en se l’appliquant à lui-même. La réaction de Pierre bien quelle soit teintée de naïveté traduit bien le bonheur qu’il a dû ressentir en contemplant son Maître transfiguré : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ! » On pourrait aussi traduire en disant : « Il est beau et bon que nous soyons ici ».
Le deuxième temps est celui d’une théophanie trinitaire : une manifestation de Dieu dans son mystère intime. Jésus, le Fils, est là rayonnant de la gloire divine. Une nuée lumineuse apparaît, c’est le Saint Esprit, et la voix du Père se fait entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour ; écoutez-le ! » Et voilà que le rêve semble se transformer en cauchemar pour les disciples : ils passent en un instant du bonheur d’être en présence de Dieu à une grande frayeur qui les projette littéralement à terre.
Le troisième temps est celui du réconfort divin : « Relevez-vous et n’ayez pas peur ! » Cette fois il n’y a plus que la présence de Jésus, lui seul, sans Moïse ni Elie, sans la nuée lumineuse et la voix du Père.
Pour bien comprendre cette succession de temps dans le récit et les réactions diverses qu’elle suscite chez les disciples, nous devons nous reporter à un épisode central du livre de l’Exode, aux chapitre 19 et 20 : l’Alliance entre Dieu et son peuple par l’intermédiaire de Moïse avec le don des dix commandements. Et le lieu que Dieu choisit pour sceller cette alliance c’est la montagne du Sinaï. Quelle est donc la réaction du peuple resté au bas de la montagne ? « Le peuple en tremblait et se tenait à distance. Alors tous dirent à Moïse : ‘Parle-nous toi, et nous t’écouterons, mais que Dieu ne nous parle pas, ou nous allons mourir !’ ». L’auteur de la lettre aux Hébreux rappelle cette épisode de l’Ancienne Alliance pour bien faire comprendre aux chrétiens la nouveauté apportée par l’Alliance en Jésus-Christ : « Rappelez vous votre initiation. Il n’y a pas eu de feu qui brûle physiquement, pas de nuée obscure ou d’ouragan, ni le son de la trompette et cette voix qui parlait de telle façon que ceux qui l’entendirent demandaient de ne plus l’entendre. […] Mais vous êtes venus jusqu’à Dieu… Là était Jésus, le médiateur de la Nouvelle Alliance, avec le sang de l’aspersion qui crie beaucoup plus fort que le sang d’Abel. » Il est donc évident que sur la montagne de la Transfiguration Jésus nous est présenté par Matthieu comme le Nouveau Moïse. Et la Transfiguration est un événement majeur de la Nouvelle Alliance de Dieu avec son peuple, non plus le Dieu unique d’Israël mais le Dieu qui se révèle dans la Trinité des personnes.
Quel enseignement pouvons-nous donc retirer de ce mystère lumineux pour nos vies ? Bien des incroyants disent : si Dieu se manifestait à moi de manière visible, alors je croirais… Et bien des catholiques sont friands de visions et d’apparitions… Le peuple d’Israël, lui, demandait surtout de ne pas voir Dieu, tellement la vision de la transcendance divine était effrayante ! La Transfiguration nous rappelle que nous avons l’immense grâce de vivre sous le régime de l’incarnation. C’est la sainte humanité de Jésus et elle seule qui est pour nous le visage de Dieu, la Parole de Dieu. Désormais Dieu se révèle dans la beauté et la douceur de Jésus. A la suite d’Augustin, Maurice Zundel affirme que le Dieu véritable est « un au-delà au-dedans, plus intérieur à nous-mêmes que le plus intime de nous-mêmes ». Pour lui « la transcendance de Dieu est l’excès même de son intériorité par rapport à nous. Dieu est une immanence absolue, c’est-à-dire qu’il est pur dedans. Nous, au contraire, sommes dehors, comme l’affirmait Augustin : ‘Tu étais dedans, mais c’est moi qui étais dehors.’ » Nous n’avons pas d’autre lieu que Jésus pour trouver Dieu, donc pas d’autre chemin que l’homme. C’est la logique de l’incarnation. « Comment concevoir, se demande Zundel, que Dieu puisse se révéler sans prendre racine dans notre intimité et nous apparaître sans transparaître à travers nous, sans devenir lumière en nous ? » « L’Evangile, pratiquement, c’est nous-mêmes. L’Evangile, c’est, dans la vie quotidienne, notre visage où le visage de Dieu veut transparaître ». Amen.

mardi 12 février 2008

Premier dimanche de carême

Premier dimanche de Carême / A
10 février 2008
Matthieu 4, 1-11 (page 27)
En ce premier dimanche de Carême la liturgie de la Parole nous fait goûter la symphonie des Ecritures. En effet les trois lectures se renvoient l’une à l’autre et se répondent admirablement bien. Dans notre méditation personnelle de la Parole de Dieu il est toujours très éclairant de mettre les textes bibliques en rapport les uns avec les autres. C’est la méthode que l’Eglise nous enseigne avec cette liturgie du premier dimanche de Carême.
Je commencerai par citer la fin de la deuxième lecture, car c’est Paul le théologien qui va nous aider à entrer dans cette symphonie des Ecritures : « De même que la faute commise par un seul a conduit tous les hommes à la condamnation, de même l’accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie. En effet, de même que tous sont devenus pécheurs parce qu’un seul homme a désobéi, de même tous deviendront justes parce qu’un seul homme a obéi ». Dans ce passage de sa lettre aux Romains, l’apôtre met en rapport Adam avec le Christ : le Christ est le nouvel Adam. Il y a donc entre notre première lecture (le livre de la Genèse) et l’Evangile de Matthieu un rapport admirable. C’est dans la mesure où nous lisons ces textes comme face à face que nous en tirons le sens véritable et l’enseignement juste pour notre vie spirituelle en ce temps de Carême.
Pour ce faire, nous pouvons commencer par les détails les plus extérieurs, le cadre, pour aller ensuite à l’essentiel : qu’est-ce que la tentation ? Comment pouvons-nous la reconnaître pour y résister et la repousser ? Le cadre extérieur nous fait passer d’un jardin magnifique, celui d’Eden ou Paradis originel, à un désert ; du couple Adam et Eve à un célibataire, Jésus. Voilà pour les contrastes de la mise en scène. Mais il y a bien un point commun entre les deux récits : la présence du tentateur qu’il soit le serpent de la Genèse ou le démon de l’Evangile.
En méditant ces textes nous comprendrons quelle est la tactique du démon et comment nous pouvons lui opposer notre fidélité à Dieu. Dans la première lecture le démon utilise le mensonge, il déforme la Parole de Dieu. Remarquez-bien qu’Eve dans un sursaut de lucidité ne se laisse pas prendre immédiatement : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin… » Le serpent revient à l’attaque et accuse Dieu de mentir : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! » C’est ainsi que le père du mensonge ose accuser Dieu de duplicité. Et pour entraîner Eve dans la désobéissance au commandement divin, il lui fait miroiter un avenir divin, une promotion inespérée : « Vous serez comme des dieux… » Le péché d’Adam et d’Eve est donc un péché d’orgueil et de manque de confiance en Dieu. Ils avaient tout pour être heureux, mais voilà que le Tentateur les persuade qu’en sortant de leur condition de créatures ils seront plus heureux encore…
Dans le désert de l’Evangile, Jésus semble se trouver dans la situation opposée à celle du jardin d’Eden. Il a faim et son humanité souffre de ce manque. Le démon dans la Genèse s’adressait à Eve pour lui promettre un statut divin, ici il s’adresse à Jésus pour mettre à l’épreuve sa divinité : « Si tu es le Fils de Dieu, prouve-le moi en faisant un prodige ! » Notons que nous retrouverons à la fin de notre Carême une situation semblable au pied de la croix. Les spectateurs prennent le relai du démon : « Sauve-toi donc, puisque tu es fils de Dieu, descends de ta croix ! » C’est par les armes de la Parole de Dieu que Notre Seigneur repousse la première tentation. Le démon ne se décourage pas et dans sa grande intelligence va se situer sur le même terrain, celui de la Parole de Dieu : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit… » Ce qui signifie que même la Parole de Dieu peut être détournée de son sens véritable par le démon pour nous entraîner à la chute. Et bien des sectes dites chrétiennes entraînent à la chute des milliers de personnes de par leur mauvaise interprétation de la Bible. Une fois encore Jésus oppose la Parole de Dieu à la tentation, et nous montre ainsi qu’il ne faut jamais isoler un verset de l’Ecriture mais les comprendre tous ensemble, dans la symphonie des Ecritures. Dans la dernière tentation au désert le démon se révèle au grand jour et ose demander au Fils de Dieu un acte d’adoration à son égard en échange d’une domination humaine. Et Notre Seigneur chasse à nouveau le tentateur en s’appuyant sur le roc de la Parole de Dieu. Là où nos premiers parents ont été vaincus, il est victorieux.
Que retenir de tout cela pour nous en ce Carême ? L’humilité et la foi font fuir le démon. Cultivons donc tout particulièrement ces deux vertus. Enfin passons du temps à lire et à méditer la Parole de Dieu. En cette année saint Paul, nous pourrions avoir comme bonne résolution de Carême la lecture priante de toutes les lettres de l’Apôtre. Nous serons ainsi bien armés dans notre lutte spirituelle et pourrons vaincre avec la grâce du Christ ce qui nous entraîne vers notre ruine.

lundi 4 février 2008

4ème dimanche du temps ordinaire

4ème dimanche du TO / A
3 février 2008
Matthieu 5, 1-12 (page 497)
Prêcher sur les Béatitudes a toujours été pour moi un exercice redoutable… C’est toujours à la fois stimulant et impressionnant de se confronter personnellement à cet enseignement du Seigneur pour en parler aux fidèles que vous êtes. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il me semble bon de remettre dans son contexte littéraire ce commencement solennel du sermon sur la montagne. Dimanche dernier nous avons entendu la toute première prédication du Christ : « Convertissez-vous, car le Règne de Dieu est là. » Cela nous donne déjà une clef de lecture pour aborder les Béatitudes. Dans l’Evangile de ce dimanche, le Seigneur nous montre concrètement les chemins de cette conversion. Mais à l’autre bout du sermon sur la montagne nous avons aussi une indication précieuse pour lire les Béatitudes : « Donc vous, vous serez parfaits comme votre Père du Ciel est parfait. » Vivre les Béatitudes c’est donc vivre de la vie même de Dieu, c’est viser à cette perfection évangélique dont nous trouvons l’accomplissement dans la personne de Jésus. Les Béatitudes n’ont rien d’un enseignement élitiste, au contraire c’est à la foule que Jésus s’adresse du haut de la montagne. Les Béatitudes ne sont pas un enseignement moral, un code législatif, mais bien un chemin vers notre bonheur et celui des autres : « Heureux ! » Qu’il est important pour nous de comprendre que notre conversion est un chemin de bonheur et que le bonheur véritable ne se trouve que dans la mesure où nous aspirons à être parfaits comme notre Père céleste. Dans les Béatitudes, le Seigneur ne nous propose pas un bonheur au rabais, et pour bien nous le faire comprendre il utilise des formules choc.
Je me limiterai en ce dimanche à la première des Béatitudes, car si Jésus la place en tête de toutes les autres ce n’est pas par hasard : « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux ! » Une première remarque renforcera encore l’importance de cette Béatitude. La plupart des Béatitudes sont exprimées au futur, par exemple : « Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise ! » Seules la première et la dernière promettent le Royaume pour maintenant : « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux ! » Une deuxième remarque m’amènera à citer le passage parallèle en saint Luc : « Heureux, vous les pauvres, parce que le Royaume de Dieu est à vous ! » Cette Béatitude est accompagnée chez Luc par une lamentation concernant les riches : « Mais malheureux, vous, les riches, car vous avez reçu votre consolation ! » Alors que retirer de tout cela pour notre vie chrétienne ? Matthieu parle de la pauvreté spirituelle et Luc plutôt de la pauvreté matérielle. Dans un premier temps, constatons le fait suivant qui est un fait d’expérience : l’homme comblé, ayant tout ce qu’il désire grâce à sa richesse, risque bien de passer à côté de l’essentiel de sa vie. C’est dit clairement dans la parabole du semeur : lorsque la semence de la parole divine tombe dans les épines, elle reste stérile. Et ces épines représentent entre autres choses « les illusions de la richesse. » Mais il est un autre fait d’expérience : lorsqu’un être humain souffre de la pauvreté et qu’il manque de la sécurité fondamentale pour vivre, la spiritualité peut lui apparaître comme un luxe. Bref ce n’est pas sa priorité. Sa priorité c’est de trouver de quoi survivre ! Et lorsque Marie dit dans son Magnificat que Dieu comble de bien les affamés et renvoie les riches les mains vides , nous savons bien qu’il s’agit ici de ceux qui ont faim et soif de la justice… Le pauvre est proclamé heureux non pas à cause de sa pauvreté mais parce qu’il ressemble à Dieu, nous y reviendrons. Maurice Zundel nous aide à y voir plus clair : « Il ne s’agit point ici de glorifier et de perpétuer la misère imposée monstrueusement à tant d’être humains par l’égoïsme ou l’inconscience de leur semblables, mais de susciter en l’âme, alourdie du poids de ses désirs, la pauvreté intérieure par laquelle l’homme se dépossède librement de soi-même, pour faire de toute sa personne un don vivant… La pauvreté qui est l’amour. » Zundel a lutté toute sa vie pour enlever de l’esprit des chrétiens les fausses images de Dieu, les idoles. Et il a osé dire dans sa méditation du mystère trinitaire que Dieu est le pauvre par excellence et non pas un monarque absolu et dominateur, repu de richesses. Oui, Dieu ne possède rien, il est entièrement Don parce qu’Il n’est qu’Amour. C’est vrai dans sa vie intime, celle de la Trinité. C’est aussi vrai dans l’acte créateur : Dieu ne crée pas le monde pour avoir des richesses mais pour communiquer son amour. Et le Concile Vatican II nous donne une grande lumière pour comprendre la Béatitude de la pauvreté intérieure : « Il y a une certaine ressemblance entre l’union des personnes divines et celles des fils de Dieu dans la vérité et dans l’amour. Cette ressemblance montre bien que l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même . » La première Béatitude nous met devant une alternative : possession ou don, que ce soit au niveau matériel ou spirituel. Etre pauvre de cœur, c’est choisir de se donner par amour à Dieu et aux autres. C’est choisir librement et joyeusement de partager ses biens avec ceux qui survivent dans la misère. Ce n’est pas la richesse qui est une malédiction, mais bien notre égoïsme et notre renfermement sur nous-mêmes. Amen.